vendredi 18 avril 2014

Deux exemples qui illustrent la façon dont le Hezbollah défend ses électeurs et la manière dont les autres partis lâchent les leurs (Art.221)


Faut pas rêver, un nouveau président de la République libanaise ne sera pas élu le 23 avril, ni le 31 avril non plus, ni même le 36 mai, tant que la nouvelle grille des salaires de la fonction publique n’est pas votée par le Parlement libanais. Qui a des doutes sur cette question n’a qu’à lire la dernière déclaration du député Mohammad Raad, chef du bloc parlementaire de la Fidélité à la Résistance. « Le retrait du projet des grades et des salaires (de la fonction publique) fait courir le risque de faire sauter la loi, surtout que nous rentrons en période électorale. Mais, nous ne voudrons pas devancer les choses. Il fallait ajourner la décision de quinze jours, ainsi soit-il. Nous respecterons ce délai afin que le Parlement puisse légiférer et qu’une loi appropriée soit promulguée ».

Vous pouvez constater dans ces propos, avec quel calme et quelle ténacité le Hezbollah est déterminé à défendre les intérêts de sa base, à travers toutes sortes d’offensives menées depuis deux semaines, au Parlement comme dans la rue, eh oui!, pour passer en force une nouvelle grille des salaires, d'un coût de 2 milliards $ pour un Etat libanais endetté à hauteur de 64 milliards $, quelques soient les moyens de son financement et les difficultés pour en trouver. La séance parlementaire du 23 avril apparait donc comme une ruse du vieux renard de l’Assemblée, Nabih Berri, complice du Hezbollah, pour faire comprendre au 14 Mars, que les dossiers de la présidentielle et la grille des salaires sont intimement liés et que les portes des arrangements à la libanaise sont grandes ouvertes. Si Nabih Berri camoufle ses démarches, Mohammad Raad se montre plus explicite. Il a non seulement lié les dossiers, mais il a aussi prévenu que « certaines candidatures (à la présidence de la République) pourraient entraver la tenue de l'élection, le pays ne peut plus supporter un nouveau conflit entre deux choix nationaux », une allusion on ne peut plus claire à la candidature de Samir Geagea, l’ennemi juré du Hezbollah.

Et puisqu’il en est question, un mot sur ce 14 Mars justement. Il est navrant de constater avec quelle légèreté ces pôles principaux -Futur (Saad Hariri, Premier ministrable en exil, since 2011), Kataeb (Amine Gemayel, candidat nostalgique non déclaré à la présidence de la République, since 1988), Forces Libanaises (Samir Geagea, candidat orphelin déclaré à la présidence de la République, since 2005) et indépendants type Boutros Harb (candidat hypocrite intemporel non déclaré à la présidence de la République) & Co- avec la complicité du Courant patriotique libre (Michel Aoun, candidat permanent non déclaré à la présidence de la République, since 1988), une fois n’est pas coutume, ont sacrifié leurs bases, la classe moyenne libanaise, à travers la « libéralisation sauvage des loyers anciens », le 1er avril, un projet concocté par Robert Ghanem (Futur, candidat dans ses rêves à la présidence de la République, since 1998) et le blocage de la « nouvelle grille des salaires » (acceptée par le CPL), le 15 avril.

On dit que c’est surtout la communauté chiite qui profitera des hausses des salaires dans la fonction publique, d’où l’acharnement du tandem chiite, Nasrallah-Berri, depuis l’époque du gouvernement de Najib Mikati, à imposer une nouvelle grille des salaires avant l’expiration de l’autoprorogation de l’actuel Parlement le 20 novembre. Ils avaient largement le temps dites-vous, oui mais, il fallait impérativement profiter de l’importance de l’échéance présidentielle pour tous les partis politiques libanais, notamment pour le 14 Mars, afin d’obliger ce camp à accepter cette loi, malgré le casse-tête de son financement et l'état pitoyable de nos finances publiques. Il faut croire que le Hezbollah sait qu'une communauté chiite satisfaite, ce sont autant d'électeurs dans la poche, malgré l'enlisement de la milice chiite libanaise dans le bourbier syrien. Comme il n’y avait aucune entente sur la question, entre le 14 Mars et le 8 Mars, les débats ont été ajournés de 15 jours et les députés ont décidé de constituer une commission pour réexaminer le projet de loi, à la demande du 14 Mars, à cause du souci de son financement. Certes, c'est un camouflet pour le tandem chiite, qui espérait faire passer la loi comme une lettre à la poste, malgré les inquiétudes du 14 Mars sur ce financement, il n'empêche la question n'a pas été tranchée, la loi n'étant pas acceptée, mais pas rejetée non plus. Le Hezbollah ne badine pas avec les intérêts de sa base. Il a fait en sorte que le sort de la présidentielle soit lié à celui de la grille des salaires.

On dit aussi que ce sont surtout les communautés chrétiennes et sunnites, notamment à Beyrouth, qui sont lésées par la nouvelle loi sur la libéralisation des loyers anciens. D’où le manque d’intérêt affiché par les partis chiites, Hezbollah (Hassan Nasrallah, aucune fonction publique ni dans le passé, ni au présent, ni à l'avenir!) et Amal (Nabih Berri, président du Parlement, since 1992, jusqu'en 2026, a priori, eza Allah 3ata el 3omer), et par le parti druze, Parti socialiste progressiste (Walid Joumblatt, socio-féodal, comme d'autres sont socio-démocrates, since 1977), pour ce dossier social. Les autres partis libanais ont lâché la classe moyenne libanaise au profit des banques, des grands propriétaires, des promoteurs et des investisseurs, parce que sur le plan économique, Futur, Kataeb, Forces libanaises et Courant patriotique libre, sont des partis libéraux.

Voilà pourquoi la loi de libéralisation des locations anciennes n’a rencontré aucune résistance au Parlement libanais, elle n'a connu aucun ajournement de vote, et elle n'a fait l'objet d'aucune demande de formation d'une nouvelle commission pour la réexaminer, comme pour la grille des salaires, malgré les avertissements des associations de défense des locataires anciens concernant les menaces d’expulsion de masse qu’elle fait peser sur des centaines de milliers de Libanais. Pas beaucoup de foyers résisteront à une augmentation progressive de leurs dépenses de plus de 1 000 $/mois d'ici quelques années. Et pourtant, la loi a été votée à la hâte et à l’unanimité, à l’exception du député du Hezbollah, Walid Succariyé, un « locataire ancien », avec le silence complice des médias libanais, tous contrôlés par les partis politiques approbateurs.
Le 14 Mars a oublié que sur le plan numérique, la classe moyenne dépasse largement la classe financière et que des communautés chrétiennes et sunnites insatisfaites, ce sont autant d'électeurs infidèles. Chapeau les gars !

Un survol du sprint législatif engagé depuis le 1er avril 2014 par le Parlement libanais, notamment avec ses deux grands dossiers, la nouvelle grille des salaires dans la fonction publique et la libéralisation des locations anciens, nous offre deux exemples pratiques qui illustrent merveilleusement bien la façon dont le Hezbollah défend ses électeurs et la manière dont les autres partis, toutes tendances politiques et appartenances communautaires confondues, lâchent les leurs. Qu’importe l'issue de la présidentielle au Liban, qui n’a aucune influence sur la vie quotidienne de la population, le « jugement dernier » des députés sortants -du 14 Mars, du 8 Mars et des soi-disant indépendants- par les « électeurs souverains », aura quand même lieu aux prochaines législatives. La nouvelle grille des salaires sera votée sans l'ombre d'un doute. Le Hezbollah aura atteint son but et ses électeurs seront ainsi satisfaits. Par contre, il n'est pas difficile d'avancer, que si Michel Sleiman ne retourne pas la loi sur la libéralisation des loyers anciens votée par le 14 Mars au Parlement, pour procéder à son abolition par les mêmes députés qui l'ont voté, les locataires anciens, sunnites et chrétiens, n’auront certainement plus que les yeux pour pleurer. Mais, soyez-en sûrs, on entendra aussi les cris et les grincements de dents des parlementaires ingrats qui les ont lâché, et qui n'ont pas su ni les représenter ni les défendre. Non mais, ce n'est pas possible d'être aussi déconnectés des préoccupations du peuple ! En tout cas, on a ce qu'on mérite dans la vie politique.

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