jeudi 20 août 2015

Les centres du pouvoir libanais sont des lignes rouges, nul n’a le droit de les franchir illégalement quel qu’en soit le contexte (Art.306)


1. Le gouvernement libanais a l’obligation de garantir à tout un chacun le droit d’exprimer ses opinions et de protester contre une décision ou une situation qu’il juge injuste. Le mouvement « Tol3it ri7etkoum » (Vous puez / You stink) devrait donc, en principe, bénéficier de la bienveillance des autorités libanaises.

2. Toute expression démocratique doit se faire dans le respect des lois libanaises en vigueur. L’attitude de certains manifestants de Tol3it ri7etkoum hier, ne s’inscrit pas dans cette logique. Elle est donc condamnable.

3. Les sièges des hautes institutions de l’Etat libanais -la présidence de la République, le Conseil des ministres et l’Assemblée nationale- indépendamment de leurs locataires et de la compétence de ces derniers, constituent des lignes rouges. Nul n’a le droit de les franchir illégalement quel qu’en soit le contexte. Par conséquent, rien ne peut justifier les débordements d’hier.

4. Jeter des sacs-poubelles et des œufs dans le périmètre du Grand Sérail, siège du gouvernement libanais, et forcer les barbelés qui protègent l’unique institution en état de fonctionnement dans notre pays, sont par les temps qui courent, des incivilités irresponsables et stériles. C’est d’autant plus condamnable qu’on a entendu ici et là des slogans proches du 8-Mars. La récupération politicienne par ce camp était donc flagrante et déplacée.

5. Il est plus que normal que les forces de l’ordre interviennent pour protéger le siège du gouvernement libanais. Il se serait passé la même chose à Paris, Londres, Washington ou Moscou. Ma3lé ma 7adan yetfalsaf. Les jets d’eau auraient dû réveiller les protestataires excités et les dissuader de forcer la ceinture sécuritaire. S’obstiner dans ce contexte ne relève plus de la liberté d’expression, c’est un trouble à l’ordre public et une menace contre l’Etat libanais, aussi insignifiante soit-elle. Les activistes, Lucien Bourjeily, Waref Sleiman, Hassan Chamas, Ihab Abu Mujahid et les autres, auraient dû le prévoir. La charge de la police antiémeute qui protège ce centre du pouvoir de l’Etat libanais, contre ceux qui voulaient forcer les périmètres de sécurité, est parfaitement justifiée, ainsi que la garde à vue de quatre activistes, qui n’a duré que quelques heures, soit dit au passage. Accuser les Forces de sécurité intérieure « d’enlèvement  », est de mauvaise foi et prouve l’amateurisme des assaillants. Tout cela est regrettable. Les coups de matraque sont condamnables. Il n’empêche que dans toute action il faut connaitre ses limites et savoir où s’arrêter, au pied de la légalité. Aller au-delà, en connaissance de cause, ou plus grave encore, en ne prévoyant pas les risques, est irresponsable.

6. Le hashtag #LaRépubliquePoubelle du journal L’Orient-Le Jour est doublement déplacé. Non seulement il est populiste mais il est déconnecté de la réalité. Si nous en sommes arrivés là, en politique comme pour les déchets, c’est à cause de certains dirigeants libanais. Et si une majorité des dirigeants libanais n’est pas capable d’assumer des hautes responsabilités, c’est à cause des électeurs qui les ont choisis, ainsi que des électeurs qui se sont abstenus de faire leur choix le jour des élections. Il faut donc cesser de faire croire que les Libanais sont des perles exceptionnelles de la Voie lactée, que les dirigeants du pays du Cèdre sont des ordures et que leur République n’est qu’une poubelle. La République libanaise est à l’image de ses citoyens et les citoyens sont à l’image de leurs dirigeants. Eh oui, ce n’est pas vendeur de le dire ainsi, mais il le faut pourtant. Nous sommes hélas une minorité à sortir du lot, à mériter mieux et à travailler efficacement pour la renaissance de notre bien-aimé Liban.

7. Qui n’est pas content des règles qui régissent la vie publique au Liban et des conditions de vie ou qui est mécontent de la gestion de certains dossiers, œuvre pour les changer ou pour améliorer la situation, et non pour renverser la table. C’est valable à la fois en politique, pour l’élection présidentielle, et dans la vie quotidienne, pour les crises des déchets, de l’eau, de l’électricité, des locations anciennes, de l'environnement, des réfugiés syriens, etc. Si nous en sommes arrivés là, indépendamment de tous les autres paramètres, c’est à cause de deux facteurs essentiels. D’une part, l’incapacité de certains dirigeants et politiciens, comme de certains médias et militants, à faire le bon diagnostic et à prescrire le bon traitement. Désolé, mais dans la crise des déchets, la corruption n’explique rien. Je l’ai démontré dans un article publié il y a trois semaines. J'y reviendrai. En politique non plus, d’ailleurs. D’autre part, si nous sommes dans la merde, c’est aussi à cause de l’incapacité des sympathisants des divers partis politiques libanais, à critiquer leur camp. Avec les mauvais diagnostics des uns et la complaisance des autres, comment peut-on espérer améliorer la situation au Liban ? Ainsi, il faut cesser là aussi, de déplacer le problème sur les autres, de fuir ses propres responsabilités et de mettre tout sur le dos de l’Etat. El dawlé ! Weiniyé eldawlé ? Un exemple parmi d’autres, « non » ce n’est pas l’entente entre l’Arabie saoudite et l’Iran qui nous donnera un président de la République, mais la participation des députés du Hezbollah et du Courant patriotique libanais (CPL) à la 28e séance électorale prévue le 2 septembre, place de l’Etoile. Tant que les partisans de Hassan Nasrallah et de Michel Aoun, ne font pas pression sur leurs députés, pour qu’ils accomplissent leur devoir démocratique, ils se rendent coresponsables du blocage du fonctionnement de la vie démocratique au Liban. Comme par hasard, on n’entend pas le mouvement « Tol3it ri7etkoum » sur ce point précis, et pourtant, les fautifs sont connus de tous. Ah, les amalgames, mettre tout le monde dans le même sac, rendent bien des services à certains. Autre exemple, avec Gebran Bassil, un ministre du CPL. Il a promis il y a quelques années que les Libanais pourront bénéficier du courant électrique 24h/24 en 2015. Nous y sommes. Jamais les Libanais n’ont eu autant de coupures électriques. Ils paient la peau des fesses pour avoir quelques misérables ampères. Quel sympathisant aouniste ou militant de « Tol3it ri7etkoum » ose rappeler ces faits ? Personne. Le Courant du Futur est le fer de lance de la libération des loyers anciens à Beyrouth, une loi qui expulsera la classe moyenne de la capitale et les natifs de la ville de leurs logements, offrant les beaux quartiers aux promoteurs sans scrupules. Quel militant du Futur ou militant de « Tol3it ri7etkoum » ose le dénoncer ? Personne. Le Liban vit dans l’instabilité politico-sécuritaire depuis le déclenchement de la guerre en Syrie et l’implication de la milice chiite dans la guerre civile syrienne. Quel partisan du Hezbollah ou militant de « Tol3it ri7etkoum » ose s’y opposer ? Personne. Il y a quelques semaines, le ministre du Travail, Sejaan Azzi, a officialisé la corruption à défaut de la combattre. Quel militant des Kataeb ou militant de « Tol3it ri7etkoum » a osé protester contre cette mesure absurde ? Personne. Il est là le fond du problème. On le trouve dans la crise des déchets. Certains partisans critiquent tous azimuts les adversaires politiques et se taisent sur les erreurs de leur propre camp, quand d’autres, comme ceux du mouvement « Tol3it ri7etkoum » se limitent à des constats vaseux et des slogans creux, en diluant les responsabilités des uns et des autres.

8. J’ai consacré un long article sur la crise des déchets, le moteur de la manifestation hier. Dans ce document, qui a connu un grand succès, j’ai pointé du doigt les responsabilités des dirigeants libanais, qui n’ont pas été à la hauteur des enjeux, mais aussi celles du peuple libanais, qu’il ne faut pas négliger dans ce dossier. Certes, le mouvement « Tol3it ri7etkoum » est légitime. Il a même tout pour séduire et canaliser le mécontentement général de la population libanaise. Sa principale erreur est de faire un mauvais diagnostic de la situation. Rendre les dirigeants libanais seuls responsables de la situation, sous le slogan généraliste de « la corruption de la classe politique », est à la fois simpliste et populiste, car en mettant tout le monde dans le même sac, on noie les responsabilités individuelles. Or, comme on le voit, en politique par exemple, comme pour l’élection présidentielle, certains sont plus responsables que d’autres dans le pourrissement de la situation. Et pourtant, le mouvement n’ose pas les dénoncer. Au sujet des déchets précisément, qui est à l’origine de cet activisme aigu, les responsables du mouvement dispensent le peuple libanais de tout effort et le dégage de toute responsabilité dans cette grave crise. Hélas, les semaines passent et me donnent raison. Beyrouth demeure le nœud de la crise des déchets. La capitale libanaise n’a ni terrain d’enfouissement, ni la possibilité de construire une unité de traitement des ordures ménagères, ni même l’option farfelue de l’exportation des ordures ménagères. La ville dépend entièrement des autres régions libanaises. Faire croire que les Beyrouthins peuvent se payer le luxe de continuer leur mode de vie, comme auparavant, comme si de rien n’était, c’est leur mentir et les mener droit dans le mur. On peut trouver un terrain d’enfouissement dans le Akkar, le Kesrouan, le Chouf ou la Békaa,  et commencer à y déposer les déchets de Beyrouth dès lundi. Mais, il sera saturé dans moins de cinq ans. Et après ? Comme je l’ai dit dans l’article Mode d’emploi pour (re)passer du pays où s’entassent les déchets, au pays où coulent le lait et le miel, « On ne peut pas demander à n’importe quelle région libanaise d’accepter les déchets des Beyrouthins et des Mont-Libanais, alors que nous résidents de la capitale et des régions qui l'entourent, nous ne faisons pas d’efforts, ou disons pas suffisamment, pour réduire le volume de nos déchets. Les chiffres sont là pour rappeler une réalité libanaise amère sur laquelle il faut impérativement agir : les zones urbaines produisent deux fois plus de déchets par habitant que les zones rurales. Le tiercé gagnant pour sortir le Liban du pétrin des déchets à long terme, valable pour le reste du monde aussi, est le suivant : par ordre d’arrivée et d’importance: RÉDUIRE, TRIER et RECYCLER. »

9. S’il faut faire pression sur l’Etat afin d’amener les dirigeants libanais à assumer leurs responsabilités, et sur ce point « Tol3it ri7etkoum » a entièrement raison, le mouvement a l’obligation d’inciter les citoyens libanais à se montrer plus consciencieux, comme dans la gestion des ordures, et plus exigeants à l’égard de leurs députés, comme pour le blocage de l'élection présidentielle, où les fautifs sont connus de tous, Hassan Nasrallah et Michel Aoun. A défaut, les activistes de ce mouvement doivent faire attention, le slogan qu’ils ont créé risque rapidement de s'appliquer sur eux.