mercredi 25 mai 2016

Désormais, seul le « conclave parlementaire » permettra d’élire sans caprices le président de la République libanaise (Art.361)


Continuons là où nous nous sommes arrêtés la dernière fois. Je paraphrasais l’artiste américain Andy Warhol, le pater du pop art et du droit de chacun à « fifteen minutes of fame » et je disais avec sarcasme que tout maronite du Liban, d’outre-mer et d’outre-tombe avait droit de croire pendant 15 minutes qu’il pourrait devenir président de la République libanaise, de son vivant ou même d'être déclaré à titre posthume, ce dernier point étant formulé implicitement pour rassurer le général. Toutefois, Andy et moi, nous parlions d’un quart d’heure, pas de 28 ans. Un million de quarts d'heure, en continu, ça ne se fait pas messieurs Aoun et Geagea, cela dépasse la part de l'ensemble de la communauté maronite du Liban. Ainsi, afin qu’on puisse garantir à chaque maronite de nos jours et de nos tombes, son tour à ce fameux quart d’heure de présidentiable, il va falloir mettre un terme à la tragi-comédie qui a assez duré et en finir avec les candidatures farfelues de Sleimane Frangié et de Michel Aoun, cela va de soi, mais aussi réformer la Constitution libanaise pour éviter dorénavant une interminable vacance du pouvoir présidentiel, comme celle que nous connaissons depuis le 25 mai 2014.

L’adoption par Saad Hariri de la candidature du beik de Zgharta et le ralliement de Samir Geagea à la candidature du général de Rabié, n’ont absolument rien changé à la donne présidentielle, n’en déplaise à tout ce beau monde et à leurs sympathisants. La vérité est dans le fait que Hassan Nasrallah a mis en œuvre au printemps 2014, la décision du Guide suprême de la République islamique d’Iran, Ali Khamenei, de bloquer l’élection présidentielle libanaise jusqu’à nouvel ordre. Et pour cause, la priorité absolue de l'Iran et du Hezbollah aujourd’hui est la Syrie. Leur enlisement dans la guerre civile syrienne leur interdit de revenir en arrière. Certes, les pertes importantes et les nombreux revers qu’ils subissent les affaiblissent, mais contrairement à ce que les naïfs pensent, ceux-ci renforcent la détermination de ces deux entités chiites à vouloir gagner la guerre d’une part, et consolide le soutien de la majorité des communautés chiites iraniennes et libanaises au régime des mollahs et au Hezbollah d’autre part.

Ainsi, l’élection présidentielle libanaise ne figure pas sur la liste des priorités du Hezbollah à cause de la Syrie. A ce motif qui reste secondaire, on peut y rajouter trois motifs fondamentaux.

Primo, le Hezbollah se méfie des présidentiables. Avec le recul, le parti chiite considère qu’il s’est fait avoir avec l’élection de Michel Sleimane. Il a cru que ce dernier marcherait sur les pas de son prédécesseur, Emile Lahoud. Mais la non-intervention du commandant de l’armée libanaise dans la démo de guerre civile qui a eu lieu le 7 mai 2008 dans les rues de Beyrouth et sur les routes du Mont-Liban, n’a pas été un signe de bon augure pour la suite. Dans son habit présidentiel, l’ex-général a réussi à fédérer tous les leaders libanais autour de la Déclaration de Baabda en leur imposant de s'engager à « se tenir à l’écart de la politique des axes et des conflits régionaux et internationaux... veiller à maîtriser la situation à la frontière libano-syrienne (...) le pays ne pouvant servir de base ou de point de passage pour la contrebande d’armes et l’infiltration de combattants... respecter les résolutions internationales, notamment la résolution 1701 du Conseil de sécurité ». C’était en juin 2012. Hassan Nasrallah avait accepté ces contraintes car il ne savait pas à l’époque que ses miliciens allaient être obligés d’intervenir massivement pour éviter la chute de la tyrannie des Assad. D’ailleurs, le Hezb n’oubliera pas, qu’à quelques mois de la fin de son mandat, Michel Sleimane a assené que « la Déclaration de Baabda est devenue une des constantes (au Liban), au même titre que le Pacte national ».

Secundo, même si le président de la République libanaise a perdu beaucoup de ses prérogatives de l’âge d’or du maronitisme politique, il demeure néanmoins, par le pouvoir de la Constitution libanaise, chef de l’Etat et commandant en chef des forces armées, il est le seul haut personnage de l’Etat libanais à prêter serment de fidélité à la nation et à veiller au respect de la Constitution, il nomme le chef du gouvernement, promulgue ‘seul’ le décret de nomination du président du Conseil des ministres, il promulgue le décret de formation et de démission du gouvernement, ainsi que celui de la démission et de la révocation des ministres, il promulgue le décret de dissolution de l’Assemblée nationale, il préside le Conseil supérieur de Défense et le Conseil des ministres, il convoque le gouvernement à titre exceptionnel, il soumet n’importe quel sujet urgent au Conseil des ministres, transmet à la Chambre des députés les projets de loi, promulgue les lois, accrédite les ambassadeurs, négocie les traités internationaux et les ratifie, et j’en passe et des meilleures. C’est pour dire, le Hezbollah ne peut absolument pas accepter n’importe qui à la magistrature suprême sauf s’il est contraint et forcé, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il ne veut ni Michel Aoun ni Sleimane Frangié comme président, en dépit de leur zèle, car il ne leur fait pas confiance. Comme il ne fait pas confiance à quiconque qui n’est pas de la communauté chiite. Hassan Nasrallah l’a dit il y a longtemps : la force du Hezbollah vient du fait qu’il est secret et ce secret est dû à la nature exclusivement chiite du mouvement.

Tertio, le Hezbollah ne croit pas au système politique libanais. Il le fait régulièrement savoir, directement ou indirectement. La dernière fois, c’était il y a quelques mois. A l’occasion de la nouvelle année 2016, cheikh Naïm Qassem, le numéro deux du Hezbollah, est apparu au petit écran pour annoncer à ces compatriotes, maronites, sunnites, orthodoxes, druzes, arméniens, chiites, bouddhistes et athées, que « le projet du Hezbollah demeure l’établissement d’une République islamique chiite au Liban ». C’est à peine croyable, mais vous n’avez qu’à vérifier vous-même, c’était il y a moins de cinq mois. Pour y parvenir, il faudra dans un premier temps dynamiter la parité islamo-chrétienne, qui constitue le fondement de la nation libanaise, pour instaurer le tripartisme christiano-sunnito-chiite. La suite est facile à prévoir. On dépoussière les compteurs des naissances pour les remettre en marche et l’histoire sera écrite par les vainqueurs, sur le plan démographique, cela va de soi.

Des déclarations des dirigeants du Hezbollah qui rejettent le système libanais, mais aussi la culture, la tradition ou l’histoire du Liban, ainsi que les coutumes du pays du Cèdre, il y en a beaucoup. Prenons par exemple, le délire de Mohammad Raad, un des idéologues du Hezbollah, député since 1992 et président du bloc parlementaire du parti, en novembre 2013. « Le visage du Liban maintenant est le visage résistant. Avant l’avènement de la Résistance (autodésignation du Hezbollah), nous regardions la carte internationale, politique et géographique, mais nous ne voyions pas le Liban à cause de sa petite superficie et parce qu’il n’avait pas de rôle. Il était suiveur. C’était un espace de transactions, de boîtes de nuit, de services, de commissions et de blanchiment d’argent. C’était le Liban. Mais maintenant, il faut créer un nouveau Liban qui soit en harmonie avec l’existence d’une Résistance (la milice chiite). »

Et comme si de rien n’était, voilà que Saad Hariri et Samir Geagea, et leurs fidèles sympathisants, n’ont pas trouvé mieux que de proposer Sleimane Frangié et Michel Aoun, comme présidents de la République libanaise, sachant que l’un comme l’autre considère qu’ils ne forment « qu’une seule personne avec Hassan Nasrallah », qui est « le souverain de tous » pour le premier et « un chef exceptionnel » pour le second. Eh bien, il n’y a pas que Mohammad Raad qui délire !

Dans ces conditions, comment peut-on imaginer un Hezbollah facilitant l’élection présidentielle libanaise ? A moins qu’il ne soit contraint et forcé, il ne le fera pas de son propre gré et de sitôt. Cette échéance électorale ne lui apporte rien en ce moment, malgré les bourdes de ses adversaires. Pire encore, elle présente un risque à court terme et remet en cause son projet à long terme. Rajouter à tout cela, que par sa capacité de blocage, le parti chiite détient une carte importante entre ses mains. Pourquoi l’utiliser maintenant et la griller ? Mieux vaut la garder pour les jours difficiles, et il y en aura, forcément. En attendant, nous entrons dans la 3e année de vacance du pouvoir et rien ne nous pousse à être optimistes.


Toujours est-il que s’il est difficile de dire comment on peut s’en sortir, une chose est sûre et certaine à ce stade. Dans un pays aussi disloqué et immature que le Liban, où les esprits sont communautaires et les institutions sont grippées, la Constitution doit être revue et corrigée dès qu’il sera possible, afin de garantir au peuple libanais un fonctionnement démocratique minimal. Précisons d’emblée qu’une telle révision constitutionnelle doit être réduite au strict minimum car il ne peut être question d’ouvrir un chantier législatif alors qu’un des protagonistes de l’échiquier politique, le Hezbollah, est lourdement armé et ne croit pas au « système libanais ».

3. Au niveau du pouvoir législatif
 
Aussi condamnable soit-elle, il n’est pas judicieux d’interdire toute prorogation du mandat des parlementaires dans un pays comme le Liban et une région comme le Moyen-Orient. On peut se retrouver un jour où l’autre comme en 1976, dans des conditions qui empêchent vraiment la tenue d’élections législatives au Liban. Par contre, il est indispensable pour la démocratie, de mettre un terme à l’abus des représentants de la nation, qui seraient tentés pour des considérations politiciennes, d’échapper au jugement du peuple en s’auto-prorogeant leur mandat. Ce fut le cas entre 2013-2014. Le motif sécuritaire invoquée par l’écrasante majorité des députés, toutes tendances politiques et appartenances communautaires confondues, s’est révélé être bidon, comme l’a confirmé la bonne tenue des trois rounds d’élections municipales dans les régions de Beyrouth, de la Bekaa, du Mont-Liban et du Sud-Liban, en ce mois de mai. On ne peut pas accepter sur le plan éthique, de payer des députés plus de 350 000 $ chacun, sans compter les innombrables avantages directs et indirects, soit plus de 45 millions $ d’argent public au total octroyés à 128 valeureux représentants de la nation pour qu’ils soient aussi peu efficaces et « légiférer par nécessité », une ou deux fois au cours du mandat bonus, en violation délibérée de la Constitution libanaise en cas de vacance présidentielle. Une seule réforme dissuadera les députés de s’autoproroger leur mandat, c’est l’arrêt total de leur rémunération en cas de prorogation du mandat du Parlement. Si c’était le cas en 2013, soyez-en sûrs, les parlementaires libanais n’auraient pas prorogé leur mandat de 4 années, soit d’un mandat entier.

2. Au niveau du pouvoir exécutif
 
Deux problèmes majeurs affectent le bon fonctionnement du pouvoir exécutif libanais : les interminables négociations pour composer le gouvernement et le boycott des réunions du Conseil des ministres au gré des intérêts politiciens. Pour y remédier, il faut donc envisager deux réformes. D’une part, instaurer une date butoir de 2, 4, 8 ou 16 semaines, qu’importe, mais enfin, un délai suffisant pour qu’un nouveau Premier ministre soit nommé, forme son gouvernement et se présente devant l’Assemblée nationale pour obtenir sa confiance. Passé le délai, le Premier ministre est révoqué et un autre est nommé à sa place. D’autre part, tout ministre devrait avoir droit à un carnet de 5, 10 ou 15 absences autorisées. Une fois que celui-ci est épuisé, le ministre doit être congédié et remplacé. On ne peut plus tolérer qu’on boude, qu’on se retire et qu’on attende des mois et des mois qu’un zéphyr se lève pour adoucir les humeurs et faire changer d’avis les capricieux de la République.

1. Au niveau du pouvoir présidentiel

Le Liban a connu quatre périodes de vacance présidentielle depuis son indépendance en 1943 : sous Fouad Chehab & Ahmad Assaad (en 1952, elle n’a duré que 5 jours), sous Michel Aoun & Hussein Husseini (1988-1990 : 751 jours svp, sans président ou avec des présidents qui n’ont pas pu exercer leur pouvoir), sous Fouad Siniora & Nabih Berri (2007-2008 : 183 jours) et sous Tammam Salam & Nabih Berri (depuis le 25 mai 2014 : 731 jours, wel kheir la 2eddém). Ainsi, nous avons été sans président, officiellement ou de facto, 1 670 jours au total, soit 4,5 ans au cours de 72,5 ans d’indépendance, càd plus de 6% du temps. Dans 20 jours, nous battrons notre propre record. Tout indique que la période de vacance que nous vivons actuellement durera encore longtemps.

Vu ces données, on peut imaginer facilement à quel point le poste du président de la République libanaise, réservé selon le Pacte national islamo-chrétien de 1943 à un Libanais de confession chrétienne maronite, fait l’objet de marchandage et de chantage politiques. Ceci n’est pas le cas ni pour le poste de Premier ministre, réservé à un Libanais de confession musulmane sunnite, ni pour celui du chef du Parlement, réservé à un libanais de confession musulmane chiite, l’attribution des deux postes n’ayant pas posé de gros soucis au Liban dans le passé. Et pourtant, les désignations des heureux élus pour ces trois hauts postes de la République libanaise, obéissent à des processus démocratiques simples à appliquer, à condition d’avoir un minimum de bonne volonté et de désintéressement, qui n’est apparemment plus le cas au pays du Cèdre depuis une trentaine d’années. Non mais sérieusement, peut-on faire plus simple et plus clair que l’article 74 de la Constitution libanaise qui stipule « qu’en cas de vacance de la présidence par décès, démission ou pour toute autre cause, l’Assemblée se réunit immédiatement et de plein droit pour élire un nouveau Président » ? "Immédiatement" veut dire précisément "sans marquer de temps d'arrêt", et "de plein droit" veut dire en gros, qu'on peut se passer des rendez-vous fixés au compte-gouttes par l'apothicaire du perchoir, beï el misaqiyé (le père du respect de l'esprit du pacte national de 1943), comme disent Hariri et Geagea, et se réunir quotidiennement trois fois par jour !

Le hic dans l’élection présidentielle libanaise c’est le fameux quorum pour valider toute séance électorale au Parlement. La Constitution libanaise n’est pas suffisamment explicite à ce sujet. Certains contestent la règle des 2/3 qui a toujours été appliquée. Peu importe. Pour mettre un terme définitif aux interprétations des uns et contre-interprétations des autres, nous devons inclure dans la Constitution un processus électoral qui a eu largement le temps au cours des siècles pour faire ses preuves, le procédé papal, en instaurant le principe du « conclave parlementaire » pour élire le président de la République libanaise, par l’enfermement des députés libanais au siège du Parlement place de l’Etoile, jusqu’à l’apparition de la fumée blanche

Fumée blanche, chapelle Sixtine (Vatican)
Photo Dylan Martinez, Reuters (2013)

Le Vatican applique ce procédé électoral depuis l’an de grâce 1271, justement, à la suite d’une vacance du Saint-Siège qui a duré près de 3 ans (encore un effort messieurs et mesdames les députés et nous y serons). Pour l’anecdote (et ça vaut le détour pour nous autres citoyens), il faut savoir que le collège électoral de l’époque était dominé par les cardinaux français, une minorité de cardinaux italiens détenait le pouvoir de blocage (alors, ça vous rappelle quelque chose ?). Excédés par l’incapacité de ces cardinaux à faire leur devoir (ah, on est bien placés pour le comprendre), la population de Viterbo, une ville italienne qui se situe à 70 km de Rome (à l’époque l’élection se déroulait dans la ville où le pape mourrait) décidèrent dans un premier temps, au bout d’un an et demi seulement (nous, on est à deux ans et nous ne faisons toujours rien), d’enfermer les cardinaux cum clave, « avec une clef » (chez nous, Nabih Berri l’a fait, entre 2006-2008, en enfermant les parlementaires dehors, comme dirait Albert Dupontel !). La mesure n’étant pas suffisante, ils les réduisirent dans un deuxième temps, au pain et à l’eau (au Liban, on est au tabboulé, au chawarma et au hommous, et toujours rien). L’entente n’étant toujours pas au rendez-vous (comme au Liban), la population italienne choisit dans un troisième temps d’ôter le toit du palais pontifical de la ville (ils avaient de sacrés ancêtres ces Italiens). Il a fallu au total 15 mois de pression de la population pour que les cardinaux élisent Tebaldo Visconti, comme le 184e pape (qui sera connu sous le nom de Grégoire X), et 6 mois supplémentaires, pour que l’heureux élu passe du Royaume de Jérusalem (un des quatre Etats latins d’Orient fondés après la Première croisade), où il était archidiacre, à Rome, où il devient chef de l’Eglise catholique romaine. C’est dans ces conditions rocambolesques qu’est né le principe de l’élection du pape en conclave.

Toujours est-il que c’était des hommes d’Eglise et du Moyen-Age. Ils étaient forcément plus résistants. Mais, aujourd’hui, avec les enfants gâtés de la République libanaise, qui vivent allégrement aux frais de la princesse, de l’Etat et des contribuables, les députés libanais ne résisteraient pas 72 heures à un mode de vie aussi austère et draconien. Pour nous assurer des institutions fonctionnelles, nous devons nous battre pour imposer ces trois idées de réforme de la Constitution dans la campagne électorale des prochaines élections législatives. Elles sont simples à appliquer et efficaces pour améliorer le fonctionnement de nos institutions. De telles propositions devraient faire l’unanimité et ne pas poser de problèmes particuliers à tout esprit honnête, démocratique et bien intentionné, qui se préoccupe vraiment de l’intérêt suprême de la nation libanaise et des citoyens libanais. Pour les imposer, il faut en parler inlassablement et menacer tout candidat à la députation d’être privé de voix s’il n’annonce pas urbi et orbi à s’engager de voter « la diète financière en cas de prorogation parlementaire », « l’instauration d’une date butoir pour la formation d’un nouveau gouvernement », « la limitation du boycott des conseils des ministres » et enfin, « la mise en place du conclave parlementaire », pour en finir une fois pour toutes avec les vacances à répétition du poste de président de la République libanaise et surtout, pour préserver la magistrature suprême des mauvais desseins de certains.