mercredi 22 mars 2017

Une taxe est un « prélèvement destiné à alimenter la trésorerie de l'État en contrepartie d'un service rendu aux administrés ». L'alpha et l'oméga de notre malheur au Liban se trouvent dans cette définition (Art.423)


C'est de la taxation au Liban dont il s'agira dans cet article. Le sujet étant immense, je me limiterai à cinq réflexions ciblées.


1. Qu'est-ce une taxe?

Commençons par le commencement. D'après le Larousse, une taxe est un « prélèvement à caractère fiscal, destiné à alimenter la trésorerie de l'État en contrepartie d'un service rendu aux administrés ». L'alpha et l'oméga de notre malheur au Liban se trouvent dans les trois segments de cette définition. Ce point sublimise notre union nationale. La majorité des administrés libanais, toutes tendances politiques et appartenances communautaires confondues, ont non seulement une aversion profonde pour n'importe quel « prélèvement à caractère fiscal » quel qu'en soit le montant, mais ils sont persuadés en plus que « l'alimentation de la trésorerie de l'Etat libanais » est désastreuse et que « le service qui leur est rendu » par ce dernier est médiocre.

A partir de là, comment peut-on imaginer la moitié d'un quart de seconde continuer à augmenter les taxes sans créer des vagues de protestation? Impossible. Pour y remédier, il y a donc trois chantiers à mettre en œuvre : l'Etat libanais doit mieux gérer l'alimentation de sa trésorerie et améliorer le service rendu à ses administrés, qui ne doivent pas rechigner éternellement à payer des taxes. Ces chantiers impliquent à la fois les politiciens et les citoyens qui doivent bien comprendre que ce triptyque est intimement lié, il forme un tout indivisible, un Etat digne de ce nom.

2. Augmentation du salaire minimum ou contrôle des prix, il faudra choisir

Le salaire minimum au Liban est actuellement de 675 000 billets d'une livre libanaise, soit 450 $/mois. Bon, ce superbe billet n'existe plus, tout le monde ne gagne pas si peu, mais enfin, qu'on le veuille ou pas, non seulement le salaire minimum est une référence économique, mais en plus, une frange de nos compatriotes et des étrangers qui travaillent dans notre pays est dans ce cas et même bien en dessous pour ces derniers. Or, un abonnement électrique privé, pour palier aux coupures intempestives du courant, peut couter un tiers de ce salaire. Et encore, c'est pour avoir 5 ou 10 misérables ampères, pas de quoi faire marcher un chauffe-eau et un chauffage d'appoint dans la salle de bain. Le kilo de notre labné nationale a doublé en quelques années. Si on veut couvrir les besoins quotidiens en calcium et éviter l'ostéoporose un jour, il faut dépenser jusqu'à la moitié de ce salaire. Et encore, le labné se mange avec de l'huile d'olive, des olives, du zaatar, de la tomate, du concombre, de l'oignon et du pain. La note finale sera donc plutôt salé. Et je peux continuer à l'infini. Rien qu'avec l'électricité et le labné, il ne restera plus à un smicard libanais que 125 $/mois pour payer le loyer, la voiture, l'école, l'hôpital et de quoi accommoder son labné.

Alors de deux choses l'une :

- Si on décide en toute logique une augmentation du salaire minimum au Liban -qui entrainerait l'augmentation de tous les salaires, dans le privé comme dans le public, notamment ceux des classes moyennes- l'Etat doit bien trouver comment la financer dans ce dernier cas. Donc, quand le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, le président du Parlement, Nabih Berri, le chef du Parti socialiste, Walid Joumblatt, le président du parti des Kataeb, Samy Gemayel, s'opposent officiellement ou officieusement au principe même de nouvelles taxations ou s'en lavent les mains, mais s'obstinent à vouloir faire passer la nouvelle grille des salaires publics en force, ou font croire qu'ils sont avec la hausse des salaires, et se présentent comme les champions de la défense des classes défavorisées, notamment pour les deux premiers, tout ce beau monde fait du populisme.

- Si on décide de garder le SMIC libanais à un niveau assez bas -qui est totalement inadapté au coût de la vie au Liban- l'Etat doit impérativement contrôler les prix de tous les secteurs cités précédemment, comme au temps de l'URSS. Donc quand le chef du gouvernement et du Courant du Futur, Saad Hariri, ainsi que les leaders du Courant patriotique libre, Gebrane Bassil, et du parti des Forces libanaises, Samir Geagea, optent officiellement ou officieusement, pour le libéralisme économique alors que le coût de la vie n'a jamais été aussi élevé, tout ce beau monde fait aussi du populisme.

La différence c'est que les deux camps ne s'adressent pas aux mêmes personnes et aux mêmes électeurs surtout dans la perspective des prochaines élections législatives. Désolé, mais il n'y a pas de troisième choix. A moins de considérer la révolution comme un choix !

3. Les secteurs concernés par la hausse des taxes et les nouvelles taxations

Quand on plonge dans ce dossier, on est frappé par deux choses : la complexité des données et un manque ahurissant de transparence de la part du gouvernement et du Parlement libanais. Une partie des nouvelles recettes -augmentation de taxes et d'impôts existants, nouvelles taxes et nouvel impôt- a déjà été votée la semaine dernière. L'autre partie pourrait l'être cette semaine ou prochainement. Tout n'entrera en vigueur que par l'adoption de l'ensemble du projet de loi, ce qui n'est pas fait pour l'instant. L'objectif de cette agitation étant de financer la nouvelle hausse des salaires dans le secteur public, qui couterait près de 800 millions de dollars à un pays endetté à hauteur de 75 milliards de dollars, qui ne maitrise plus depuis belle lurette, sa dette publique. Les listes des augmentations prévues qui ont circulé sur les réseaux sociaux étaient fausses nous dit-on. Mais, ni les ministres, ni les députés, ni les commissions parlementaires, ni les leaders politiques, tous confondus, ne se sont donnés la peine de distribuer les bonnes listes. Bienvenue au Liban!

Les domaines concernés par la hausse des taxes ou les nouvelles taxations, ou qui pourraient l'être prochainement sont : TVA (+1%), documents officiels (timbres fiscaux ; 4000LL/extrait judiciaire ; copie conforme/4000LL), documents privés (contrat de travail 100 000LL ; reçu de téléphonie mobile 2500LL ; relevé de compte 250LL), électricitésecteur immobilier (permis de construire 1,5% de la valeur du projet ; vente professionnelle 2% du prix, plus-value réalisée par les particuliers 15%), construction (sable, ciment, pierres concassées), secteur bancaire (bénéfices sur les intérêts de 5 à 7% ; bénéfices des sociétés de capitaux de 15 à 17%), loterie nationale (20%), douane (conteneurs importés), billet d'avion (au départ du Liban), boissons alcoolisées importées (pas l'arak national ; bière et spiritueux 25% du prix de vente ; vin et champagne 35% ; à l'origine, ça devait être 400%!), tabac (+250LL/paquet de cigarettes, +500LL/boite de cigares ; à l'origine ça devait être 135% et 44%, mais Nabih Berri n'en a pas voulu ; on prévoit un changement +500LL/cigare car on s'est rendu compte du ridicule de l'augmentation!), mazout, etc.

Aux dernières nouvelles, les choses se compliquent car les protagonistes ont chacun un agenda différent. Tout le monde voulait faire vite avant que les choses ne se compliquent justement et les citoyens ne s'en rendent compte, comme pour la libéralisation des loyers anciens. Trop tard, c'est déjà compliqué. Viennent se greffer au dossier des taxes, la manifestation réussie contre l'envolée fiscale dimanche dernier à Beyrouth, les discussions sur la loi électorale (qui détermineront le poids politique des protagonistes), l'autoprorogation certaine du mandat parlementaire (les incompétents politiciens libanais parlent « d'autoprorogation technique »), la création de la commission nationale pour la lutte contre la corruption (prévue par une loi entrée en vigueur récemment), les entraves actuelles à la libéralisation du secteur de l'immobilier des contraintes aussi bien fiscales (hausse de certaines taxes prévue dans la loi fiscale) qu'humaines (locataires anciens ; la loi de libéralisation des loyers n'a pas été promulguée par le chef de l'Etat, Michel Aoun, elle est de nouveau devant le Conseil constitutionnel) aussi bien à Beyrouth que sur le littoral, la flambée des prix sans contrôle et sans sanction avant même l'entrée en vigueur des nouvelles augmentations de taxes, etc. C'est clair, nous ne sommes pas sortis de l'auberge.

4. La hausse tant décriée de la TVA

Une des nouvelles mesures qui est décriée le plus par certains contestataires, c'est l'augmentation de la TVA, qui passera de 10 à 11%. Paradoxalement, cette hausse n'est pas celle qui pose le plus de problème. Il faut déjà savoir que notre TVA est faible. Elle est du même ordre que celle de la Suisse (8%), du Japon (8%) et de l'Australie (10%). Dans les pays de l'Union européenne, celle-ci est beaucoup plus élevée. C'est 25% en Suède, mais là-bas, on en a pour ses taxes ! C'est 24% en Grèce, pays qui a du mal à boucler ses fins de mois. C'est 20% en France et 19% en Allemagne. Même les Etats-Unis ont une taxation apparentée (autour de 6%). Donc, toute critique de l'introduction de la TVA au Liban par Rafic Hariri et Fouad Siniora en 2002 est injuste et toute remise en cause de son utilité n'est pas sérieuse. La TVA représente près de la moitié des recettes fiscales de l'Etat français (145 milliards €/an). Chaque Français paie près de 200 $/mois de TVA.

L'augmentation de 1 point de la TVA générera d'après le ministère des Finances, 171 millions $ de recettes supplémentaires. Réparties sur 6,5 millions d'habitants, à supposer que les Syriens consomment comme les Libanais, chaque résident au Liban devra supporter une augmentation annuelle de 26 $ seulement. Néanmoins, ce n'est pas tant l'augmentation isolée de la TVA qui inquiète, ce sont plutôt toutes les augmentations réunies qui pourraient crever le budget de certains ménages libanais.

Cela étant dit, le problème majeur de la TVA au Liban réside ailleurs. Notre TVA suit la loi du tout ou rien. C'est une aberration pour un pays où les inégalités sociales sont si criantes. Il est impératif que la nouvelle loi soit revue et corriger pour instaurer plusieurs taux de TVA. Les listes sont non exhaustives bien entendu :

. Exemptions de TVA : Seuls les produits de première nécessité, comme les aliments non transformés, le pain, les médicaments au service médical rendu important et les actes médicaux, ne doivent pas être taxés.

. TVA réduite à 5% : Certains produits de nécessité ou des prestations à caractère utilitaire, sociale, sanitaire, éducatif ou culturel. Eau, électricité, restauration rapide, plats à emporter, médicaments au service médical rendu modéré, travaux de rénovation dans les maisons et appartements anciens, travaux d'isolation thermique et phonique des habitations, équipements et services pour les personnes handicapées, bonbonnes de gaz, panneaux solaires, transport en commun, livres, cinéma, théâtre, presse écrite, hôtellerie de standard moyen, etc.

. TVA normale à 10% : Médias télévisuels et radiophoniques, médicaments au service médical rendu faible, immobilier standard, hôtellerie de standard élevé, habitations de moins de 125 m2 (il faut absolument encourager la construction de logements à surface raisonnable et en finir avec les délires mégalomaniques des appartements de grandes surfaces dans un pays où la densité humaine est l'une des plus élevée au monde), etc.

. TVA majorée à 15, 20, 25% : Beaucoup de produits ou de prestations de service peuvent supporter des taxes de bases et une TVA plus élevées. Vêtements, caviar, électro-ménagers (il est évident qu'il ne faut pas taxer le lave-linge comme l'AC!), médicaments au service médical rendu insuffisant, alcool, tabac, essence, parfums, restaurants, produits de luxe, bijoux, hôtellerie de luxe, voitures neuves, immobilier de luxe, habitations de plus de 125 m2, etc.

Deux nuances. Il n'est évidemment pas question de demander à nos gouvernants et représentants d'introduire toutes ces taxations d'un coup. On doit justement prendre en compte le revenu des Libanais, avec comme indicateur principal le salaire minimum et le taux de croissance économique, mais aussi le service rendu aux administrés libanais, ainsi que l'égalité des Libanais dans l'alimentation de la trésorerie de l'Etat, comme on l'a vu au premier point. C'est ce que le gouvernement et le Parlement libanais ne font pas. 

L'autre point concerne le principal ennemi de la TVA, donc de l'Etat et des citoyens, c'est le marché noir. Celui-ci diminue à la fois les recettes du premier, mais aussi les prestations offertes aux derniers. Et là on revient au cœur du problème, tant que l'Etat libanais n'est pas capable d'étendre sa souveraineté sur tout le territoire libanaise, ses recettes fiscales resteront amputées. Pire encore, tant que certains Libanais ont l'impression qu'on applique deux poids deux mesures dans ce pays, que l'autorité de l'Etat ne s'exerce qu'à Beyrouth et dans certaines régions, que des citoyens casquent quand d'autres se paient le luxe de ne pas payer, une frange de nos compatriotes resteront farouchement opposés aux taxes, aux impôts et à leurs augmentations.

5. Est-ce que le gouvernement et le parlement libanais ont la légalité et la légitimité pour légiférer sur les taxes ?

Certes, le gouvernement et le Parlement libanais, ont la « légalité » nécessaire, « conformément aux prescriptions de la Constitution et de la loi libanaises », afin de remplir respectivement leur rôle de pouvoir exécutif et législatif, voter de nouvelles lois et les faire appliquer. Je serai le dernier à remettre ceci en cause. Il n'empêche que je suis le premier à affirmer que ces deux pouvoirs n'ont absolument pas la « légitimité » nécessaire de le faire, « conformément à l'équité, au droit naturel, à la raison et à la morale ». Eh oui, la nuance est immense !

Rappelons d'une part, que les députés libanais qui siègent depuis le 20 juin 2013, ont décidé à deux reprises d'autoproroger leur mandat parlementaire de 4 ans, soit d'un mandat entier. La raison évoquée était l'impossibilité de tenir des élections législatives à cause de l'insécurité. Avec le recul, on se rend compte que cet argument était bidon. Rappelons d'autre part, que ces députés autoprorogés ont décidé d'élire un nouveau président de la République, Michel Aoun, qui a confié à Saad Hariri, après des consultations parlementaires, la formation d'un nouveau gouvernement. La raison évoquée était l'organisation des élections législatives avant la fin du mandat de l'Assemblée nationale, le 20 juin 2017. Depuis hier, le 21 mars 2017, on sait que cette raison aussi était bidon car on ne peut plus le faire sur le plan légal, puisque la loi prévoit d'appeler le corps électoral (les électeurs) plus de trois mois avant l'expiration du mandat du Parlement. Ye3né bel mchabra7, les autoprorogés députés de la nation vont pour la 3e fois, autoproroger leur mandat parlementaire expiré il y a près de quatre ans. Une frange de Libanais le savaient déjà, depuis longtemps. C'est ce qui m'a amené en pleine liesse, après l'élection de Michel Aoun et la formation du gouvernement de Saad Hariri, à affirmer que « Le Liban pouvait très bien se passer du nouveau gouvernement : ce n'est pas ça qui était demandé »

Dans un pays qui se respecte, où règne un Etat de droit, le Conseil constitutionnel aurait remonté les bretelles de tous ces magouilleurs de le République libanaise, et invalidé tout ce qui s'est passé depuis le 20 juin 2013, comme si ça n'avait jamais existé, car tout ce qui est basé sur du bidon est forcément bidon. Je suis attristé d'être obligé de mettre tout le monde dans le mec sac, mais c'est la triste réalité des choses. Le gouvernement et le Parlement libanais n'ont pas la légitimité d'augmenter les taxes et de voter la nouvelle grille des salaires. Le mal étant fait, la décence démocratique exige de ces pouvoirs de se contenter de voter une nouvelle loi électorale, d'organiser de nouvelles élections législatives et de déguerpir, à moins qu'ils ne soient réélus de nouveau. Et avant que je n'oublie, vous devez le savoir, depuis douze ans que le Liban a retrouvé son indépendance et sa souveraineté, ces politicards n'ont pas voté un budget en bonne et due forme devant l'Assemblée des représentants de la nation. Pas une seule fois. Et dire qu'ils ont le culot de légiférer encore sur les questions financières. Enfin, ce n'est pas leur faute, c'est celle d'un peuple qui ne cesse de se laisser faire et de tomber dans les mêmes erreurs.