dimanche 4 septembre 2011

Plan de Gebran Bassil pour l'électricité: du talon d'Achille à la tapisserie de Pénélope ! (Art.32)



Gebran Bassil, ministre de l'Énergie
et de l'Eau, entre nov. 2009 et fév. 2014
Photo Al-Akhbar
Quel est le point commun entre Michel Aoun et Alphonse Allais? Hélas, les 2 noms partagent le même neurone dans mon cerveau. Je me suis demandé pendant longtemps pourquoi mon cortex a procédé à un tel archivage qui me froissait à chaque fois que j'y pensais, jusqu'au jour où j'ai découvert la raison. C'est sans doute à cause de la célèbre boutade de l'écrivain français:  "Une fois qu'on a passé les bornes, il n'y a plus de limites"! Et les bornes selon Alphonse Allais sont surtout celles de la connerie! Le Général vient de nous en donner une superbe illustration cette semaine combien ce journaliste de la Belle Epoque avait raison!

A l’issue de la réunion de son bloc, Michel Aoun a affirmé que « le courant du Futur et un autre courant ont aidé à priver le Liban d’électricité durant une vingtaine d’années… S’ils veulent de l’électricité, qu’ils approuvent le plan qui a été exposé scientifiquement et qui n’a aucun défaut... Nous avons des dossiers financiers que nous pouvons présenter devant le parquet et qui concernent de grands noms dans le pays, dont certains qui nous critiquent à présent » (L'Orient-Le Jour 30/8).

J'aurai bien fermé les yeux à l'utilisation déplacée de "scientifiquement", mais l'arrogance manifeste dans "aucun défaut" est une couleuvre difficile à avaler! Voyons ce qu'il en est d'un peu plus près.

1. Le courant du Futur a aidé à priver le Liban d’électricité durant une vingtaine d’années
Par curiosité j'ai voulu en savoir plus. Un simple coup de fil m'a permis de dresser la liste de tous les ministres qui se sont succédés dans ce ministère depuis la fin de la guerre civile. Voici les heureux bénéficiaires.

1990-1992: Mohammad Youssef Beydoun (proche de Hoss)
1992: Mohammad Abdel-Hamid Beydoun (Mouvement Amal)
1992-1993: Georges Frem (indépendant)
1993-1998: Elie Hobeika (Parti Wa3d, mouvance pro-syrienne)
1998-2000: Sleiman Traboulsi (proche de Hoss)
2000-2003: Mohammad Abdel-Hamid Beydoun (Mouvement Amal)
2003-2004: Ayoub Hmayed (Mouvement Amal)
2004-2005: Maurice Sehnaoui (père de Nicolas Sehnaoui)
2005: Bassam Yammine (Frangié)
2005-2008: Mohammad Fneich (Hezbollah)
2008-2009: Alain Tabourian (Aoun)
> 2009: Gibran Bassil (Aoun)

Edifiant, n'est-ce pas: aucun ministre "haririen" ne figure sur cette liste! A part le court passage de Georges Frem (5% du temps total!), tous les ministres qui se sont succédés de 1990 à 2011, sont des pro-syriens notoires, issus de partis qu'on peut désigner aujourd'hui par le camp du 8 Mars, pro-8 Mars ou anti-14 Mars: Courant d'Aoun, Hezbollah, Amal, Hobeika, Frangié et Hoss. Aoun et son allié le Hezbollah sont aux commandes de ce ministère "vache à lait" depuis la Révolution du Cèdre voilà plus de 6 ans déjà! Donc, après une étude académique on peut dire que le 8 Mars est scientifiquement le seul responsable, sans partage, du désastre dans lequel est plongé le secteur électrique au Liban.

2. Le plan n'a aucun défaut
Les libanais sont dans une situation sans équivalent dans la Voie lactée concernant l'électricité. Nulle part dans notre galaxie on paye 170$/mois pour 10 misérables ampères (au choix 1 chauffe-eau et 2 lampes ou 2 AC sans éclairage!), à raison de 6 à 12h/j… C'est encore le génie libanais dans toute sa splendeur!

Alors question, pourquoi les ministres syro-8marsiens n'ont rien fait depuis 20 ans et se réveillent seulement aujourd'hui? Et bien, je le sais, vous le savez et ils le savent pourquoi! Mais oublions le passé un instant. Ne souhaitant pas faire de procès d'intention, je me suis procuré le fameux "Plan stratégique national pour le secteur de l'électricité" présenté par Gebran Bassil à ce peuple ingrat qui ne mesure toujours pas la chance qu'il a de dépendre pour l'électricité de l'architecte du rapprochement du CPL avec le Hezbollah!

Ce plan a fait couler beaucoup d'encre et a asséché beaucoup de palais. Je ne reprendrai pas les critiques développées par mes amis du 14 Mars, mais j'ai choisi de me concentrer sur un seul point qui n'a pas été abordé encore et qui représente pour moi le véritable talon d'Achille du plan de Gebran Bassil. En 39 pages de chiffres et de lettres, d'annexes et de nombreux tableaux pour épater la galerie, le ministre de l'Energie et de l'Eau n'a pas réussi à expliquer aux contribuables libanais (car après tout c'est de leur argent qu'il s'agit) comment il compte faire pour en finir sérieusement avec le vol de l'électricité au Liban (branchement illégal sur le réseau public et non-paiement des factures)! Mystère ministériel bassilien!

Et ce n'est pas une mince affaire croyez-moi. Voyons les chiffres. De l'aveu même du ministre: "Les pertes non techniques (vol et non-paiement des factures) ne sont pas uniformes car elles varient entre les provinces de 9,6% à 58%, et ensuite entre les régions de 15% à 78%. De la même manière, il n’existe pas d’uniformité pour le taux d’encaissement (des factures) qui varie de 83% à 97% en provinces et de 62% à 97,5% dans les régions."
Yé3né bel mchabra7: dans certaines régions libanaises, jusqu'à 78% de l'électricité distribuée est volée (branchement illégal sur le réseau public) et 38% des factures ne sont pas payées!

Pour être plus précis, il faut aller voir ailleurs, loin du ministère de Gebran Bassil. En fév. 2009, Eric Verdeil, un chargé de recherche au CNRS français, Université de Lyon, UMR Environnement, Ville & Société, publie une étude dans la Revue Tiers Monde, intitulée "Electricité et territoires: un regard sur la crise libanaise". Selon, cette étude le taux de "vol" du courant électrique par région (factures non payées et consommation non facturée) varie entre 12 et 69 % selon les régions: Beyrouth 12,1% – Mont Liban Nord 40,1% - Békaa Sud 45,6% - Mont Liban Sud 49,6% - Liban Sud 56% - Liban Nord 60,7% - Békaa Nord 67,2% - Békaa Centre 69,1%.
Encore une fois, bel mchabra7: dans le centre et le nord de la Békaa par exemple, près de 70% de l'électricité distribuée est volée!

Face à ces chiffres effrayants, que prévoit le ministre prodige? Accrochez-vous car l'amateurisme du ministre est vraiment surprenant. "La politique du secteur de la distribution est basée sur l’implémentation d’un programme transitoire et réaliste avec la participation du secteur privé, dans le cadre légal existant, et dont l’objectif est d’investir dans la planification, la construction, la gestion et maintenance des activités de la distribution y compris la relève, la facturation et l’encaissement, utilisant des systèmes modernes et intelligents."

Notez bien le "transitoire" et cette formulation bidon de "la gestion et maintenance des activités de la distribution y compris la relève, la facturation et l’encaissement, utilisant des systèmes modernes et intelligents." Hallucinant! Oui mes chers compatriotes, c'est sur cette base que le ministre d'Aoun souhaite obtenir 1,2 milliard de dollars, de votre argent en fin de compte!

Et ce n'est pas tout car le ministre prévoit aussi une augmentation du tarif de 54% d'ici 2015.

En somme, Gebran Bassil veut engager la trésorerie libanaise sur des dépenses pharaoniques (5 milliards de dollars au total!), sans contrôle, et surtout sans la moindre idée comment va-t-il procéder (et s'il sera possible de le faire sur tout le territoire libanais ou se contenter d'Achrafieh!):
- pour empêcher techniquement les fraudeurs de frauder (à l'intérieur & à l'extérieur de leur résidence),
- pour les identifier et les sanctionner sévèrement,
- et pour obliger les mauvais payeurs à régler leurs factures.
Il est évident, tant que l'Etat libanais est incapable d'obliger tout consommateur d'électricité au Liban à payer sa facture et à empêcher la fraude, il serait illusoire d'espérer sortir le Liban du gouffre financier où l'EDL le place!

3. Nous avons des dossiers financiers que nous pouvons présenter devant le parquet et qui concernent de grands noms dans le pays.
Michel Aoun ne peut pas ignorer que "yallé bayto min ézaz ma béréchi2 el nass bél 7jar", et pourtant il recommence! Mais enfin qu'il le fasse! Nous aimerons nous aussi avoir une commission d'enquête pour demander à l'ex-général de Baabda où sont passés les 15 millions de dollars qu'il avait déposés avec sa femme sur un compte bancaire de l'agence du boulevard Malesherbes de la BNPI à Paris en 1990 (révélation du journal Le Canard Enchaîné, le 3 janvier 1990). Un pactole qui rapportait déjà à l'époque 100 000 $/mois comme intérêts! Est-ce que le salaire d'un général de l'armée libanaise permet d'amasser une telle fortune?
Lui demander aussi que sont devenus les 32 millions de dollars d'avoirs à l'étranger que la France s'est engagée à geler la veille de sa fuite sur la Côte d'Azur en août 1991 (révélation du journal Le Monde du 28 août 1991 et de l'ambassade de France à Beyrouth)?
Lui demander également pourquoi le régime syro-libanais a décidé de renoncer la veille de son retour de l'exil doré à récupérer les 75 millions de dollars que l'Etat libanais lui réclamait en 1991?


Quatre réflexions supplémentaires au sujet de l'électricité

- Le plus important en communication politique est ce qui reste dans la tête des gens. Et c'est connu, dans la tête des gens il ne reste que des versions simplifiées pour ne pas dire simplistes des événements. Michel Aoun et son gendre prodige, essayent de faire croire à l'opinion publique qu'ils ont un plan pour en finir avec les problèmes électriques et que les autres les en empêchent. Nous devons expliquer à nos compatriotes que ce soi-disant plan de Gebran Bassil pour l'électricité au Liban se résume en une phrase: ceux qui payent honnêtement leurs factures électriques et des taxes en tous genres, payeront plus (et surtout paieront pour les autres!)… et ceux qui volent impunément du courant, pourront en voler davantage!

- Tant que les voleurs d'électricité ne sont pas condamnés pénalement et moralement, par les autorités de l'Etat, les municipalités, la population, les partis politiques et les autorités religieuses, le problème perdurera!

- Tout plan pour l'électricité doit répondre en premier lieu à 2 questions élémentaires: comment empêcher les gens techniquement de frauder et comment intensifier le contrôle et les poursuites contre les fraudeurs. Ce qui nous amène au centre du problème, est-il possible de le faire sur tout le territoire libanais sans que les agents de l'Etat ne risquent leur vie? Si oui, pourquoi ne pas procéder à une phase-test pour s'en assurer!?

- Enfin, et si demain pour une raison wali-fakihienne, le Hezbollah déclenchait une guerre contre l'ennemi israélien et que l'Etat hébreux bombardait les centrales électriques flambant neuves, qui payera la reconstruction? Le secteur privé, l'Etat libanais, l'Etat hébreux ou l'Etat iranien? Hélas, on sait que ça va encore revenir à l'Etat libanais, donc aux citoyens libanais qui payent honnêtement leurs taxes et leurs factures, donc toujours les mêmes. Il est ainsi plus qu'évident, tant que la décision de faire la guerre n'est pas entre les mains de l'Etat libanais, nous serons là comme Pénélope avec sa tapisserie, condamnés à un éternel recommencement et aux éternelles coupures électriques! Pour résoudre le problème de l'électricité au Liban, il faut entre autres, désarmer le Hezbollah! Si si… Ce ne sont pas des si hypothétiques cette fois-ci, musicaux peut être, affirmatifs sûrement!