mercredi 23 janvier 2013

L’heure de vérité a sonné... le glas du mariage civil au Liban (Art.103)


Que l’on soit au poker ou dans un débat, la surenchère ne mène pas bien loin. Le bluff, non plus. La mauvaise foi, encore moins. Les insultes, tous azimuts, raffinées ou vulgaires, n’en parlons pas. Tôt ou tard, l’heure de vérité finit par sonner, game over, il faut découvrir ses cartes !

On a tout lu et tout entendu sur le « vote intracommunautaire » et le consensus interchrétien autour de ce projet entre les grands partis politiques chrétiens (Forces libanaises, Kataeb, Marada et Courant patriotique libre), malgré l’opposition du président de la République et un certain nombre de personnalités indépendantes. Le projet de loi proposé par le Rassemblement orthodoxe, élaboré par Elie Ferzli, un ancien vice-président du Parlement libanais (1992-2004), a déchainé les passions des opposants ces dernières semaines, réveillant les instincts, au point de faire perdre à certains leur calme olympien et leur aura de surcroît !

Pêle-mêle, les opposants à ce projet ont dénoncé « ce repli chrétien », « l’isolationnisme communautaire », « l’alliance des minorités », « ces orthodoxes trop catholiques », « l’obsession identitaire maronite », « le dynamitage de la coexistence », « le tri des électeurs », « l’apocalypse électoral », « la liste de déshonneur », « les erreurs récurrentes », « la folie des adversaires », « le racisme rampant », j’en passe et des meilleures. J’attribuerai la palme d’or de cette campagne de dénigrement, en ex-aequo et en toute amabilité, à certains compatriotes sunnites et d’autres orthodoxes : aux premiers, parce qu’ils affirmaient « défendre le Liban du patriarche maronite Elias Hoyek » (qui a joué un rôle déterminant dans la création de l’Etat du Grand Liban en 1920 et dans le renforcement de la coexistence fraternelle islamo-chrétienne), sous-entendant que les leaders chrétiens d’aujourd’hui ne le font pas, pire, ils seraient une menace pour le Liban de Hoyek !; aux seconds, qui considéraient que « la communauté orthodoxe était étrangère aux revendications identitaires », sous-entendant qu’eux, ils ne seraient pas comme les Libanais maronites, ne voulant pas voir que le vote intracommunautaire a non seulement dépassé le clivage politique septennal, 14 Mars vs 8 Mars, mais aussi les frontières confessionnelles. Deux parfaits exemples de l’esprit communautaire qui se déguise et s’exprime avec « subtilité » s’il vous plaît.

Toujours est-il, à l’heure de l’argumentation à la dérive, à lire et à entendre tout ce beau monde, un extraterrestre dirait que le Liban est le paradis laïc du Système solaire de la Voie lactée, et que rien ni personne ne peut nous faire de l’ombre à 100 000 années-lumière à la ronde ! Bassita, ne nous fâchons pas pour des broutilles, la démocratie nous permet à tous de nous exprimer librement avec force et sans tabou, parfois même avec véhémence et sans retenu. Bien au contraire, nous devons nous en féliciter de cette vitalité de la démocratie libanaise. Dépassons alors les clivages du moment et allons à l’essentiel.

Qui dit crise, dit opportunité. La crise sur la loi électorale, nous offre aujourd’hui l’opportunité d’aborder sérieusement pour une fois, le mariage civil. Et pourquoi diable faut-il s’attarder sur le mariage civil ? Eh bien, je vais vous expliquer pourquoi. En défendant le projet de « vote intracommunautaire » dès le début du mois d’octobre 2012, le seul projet à mes yeux et à ce jour qui permettra dans l’état actuel du communautarisme des esprits de corriger complétement le défaut démocratique chronique qui résulte du vote en bloc des communautés libanaises, j’avais conclu : « A long terme, il faudrait changer la mentalité libanaise. Pour y arriver, nous devons passer impérativement par la révolution religieuse, qui exige pour l’entamer deux lois immédiates : une interdiction des partis politiques religieux (comme le propose et c’est un comble, un homme religieux, sayyed Ali el-Amine) et un droit civil et laïque pour tous indépendamment des religions (pour les naissances, le mariage, le divorce, l’héritage...). C’est la révolution religieuse, et seulement elle qui permettra au citoyen d’émerger dans la société libanaise, et à l’individu de prendre son indépendance de la communauté. Et c’est bien à ce moment-là, qu’il ne votera plus en bloc, solidaire de sa communauté, mais en individu, en son âme et conscience. »

Les mois sont passés, les discussions sur la loi électorale se sont intensifiées et se sont diversifiées. Ce débat passionnant et passionné a eu le grand mérite de nous permettre de placer le doigt sur la plaie qui fait saigner le Liban depuis des siècles, le confessionnalisme maladif des esprits, qui se traduit aujourd’hui par le néfaste vote en bloc des communautés libanaises, le mal à l’origine du projet de vote intracommunautaire. Par ricochet, il a remis au grand jour le débat sur le mariage civil au Liban.

Rappelons que l’ancien président Elias Hraoui, a déjà tenté à la fin des années 90 alors que le pays été enfoncé dans l’ère de la terreur syrienne, d’introduire le mariage civil au pays du Cèdre. Il a essuyé un refus catégorique de toutes les communautés religieuses libanaises. Une union sacrée d’intérêts et de circonstances entre des hommes religieux qui n’ont jamais supporté, et de tous temps, que les descendants d’Adam et Ève échappent aux commandements de Dieu ou qu’ils disposent en toute autonomie, et sans pressions morales, de leur destinée !


Vingt ans plus tard, un autre président de la République, tente la même (més)aventure, avec ou sans parenthèses à votre convenance ! Le 20 janvier 2013, Michel Sleiman, de confession maronite, a abordé le sujet avec ses 170 000 fans sur Facebook : « Nous devons travailler pour l'élaboration d'une loi sur le mariage civil. Il s'agit d'une étape très importante dans l'éradication du sectarisme et pour la consolidation de l'unité nationale. Qu’est-ce que vous en pensez ? » Superbe, bass el 3ein bassira woul yad assira ! Certes, cette position est un appui important pour celles et ceux, comme moi, défendent, profondément et pas superficiellement, la laïcisation des institutions et des lois libanaises. Mais il n’est pas besoin d’être devin et dans les secrets des dieux ou des charlatans de fin d’année de la trempe des Michel Hayek, pour prédire la suite ! 48 h plus tard, le Premier ministre, a signifié aux Libanais lors de la réunion du Conseil des ministres, que « le mariage civil n’est pas à l’ordre du jour, qu’il y a divergence des positions et qu’il n’est pas nécessaire de s’engager dans des débats inutiles dans les circonstances actuelles ». Certes, sa déclaration ne signifie pas forcément qu’il est contre, mais franchement, y a-t-il un moyen plus hypocrite d’esquiver le problème ? Vous comprenez, Nagib Mikati, de confession sunnite, est à quelques mois de s’engager dans la bataille électorale de Tripoli. Au-delà de cette bataille locale, il joue son avenir politique au niveau national, au moins à court terme : il n’a nullement envie de se mettre la communauté sunnite sur le dos et hypothéquer son avenir de Premier-ministrable au lendemain des élections de juin, maintenant qu’il s’est assuré la bénédiction du grand mufti de la République (la plus haute autorité religieuse de la communauté sunnite libanaise). Tiens, tiens, qui dit encore qu’il y a du communautarisme au Liban ? Et voilà qui renvoie gentiment le mariage civil aux calendes grecques.

On le voit bien, la volonté et même la détermination de Michel Sleiman, comme avec son prédécesseur, ne suffiront sûrement pas pour y parvenir -pas à « éradiquer le sectarisme », la quête du Graal pour tout Libanais laïc, mais à instaurer tout simplement le mariage civil- depuis que l’Accord de Taëf a ôté au Président toutes ses prérogatives et que les esprits sont aussi communautaires, autant chez les chrétiens que chez les musulmans. Eh oui, il ne suffit pas de le vouloir bien entendu ! Tenez par exemple, lors de son discours d’investiture le 25 mai 2008, c’est-à-dire il y a presque 5 ans, le président de République a souhaité que les Libanais de l’étranger puissent voter aux prochaines élections législatives dans les ambassades de leurs lieux de résidence. Il évoquait celles de juin 2009, lol ! Non seulement, ils n’ont pas pu le faire en 2009, mais parti comme c’est parti, ils ne pourraient probablement pas le faire en juin 2013. Notre ministre des Affaires étrangères, Adnane Mansour (ministre de Nabih Berri) a fait tout son possible pour ne pas rendre ce vote effectif. Nagib Mikati n’a rien eu à redire. Le 14 Mars était occupé au-delà des frontières. Et le 8 Mars, s’en foutait loyalement. Pourquoi me diriez-vous ? Eh bien, parce que certains politiciens du pays craignent le vote de ces expatriés qui de par leur éloignement physique et psychique du bourbier libanais, étant à l'abri du lavage de cerveau des médias partisans de la métropole, ne sont pas soumis aux pressions politicienne, féodale, clanique et communautaire.

Donc, Michel Sleiman et Nagib Mikati se sont exprimés sur le mariage civil. Et que pensent les autres politiciens ? Que dalle ou presque. Les 29 ministres du 8 Mars et les 128 députés de la Nation, toutes tendances politiques confondues ? Occupés tous par la loi électorale. Néanmoins, cela n'a pas empêché Georges Adwan (Forces libanaises) et Samy Gemayel (Kataeb), défenseurs du vote intracommunautaire à défaut d'autres propositions sérieuses, d'y être favorables et de soutenir la tentative de ce couple libanais, Khouloud Succariyeh (chiite) et Nidal Darwiche (sunnite), d'introduire le mariage civil au Liban en profitant d'une brèche dans la législation libanaise (avant leur "mariage civil", le couple s'est quand même marié religieusement, mais sans procéder à l'enregistrement de leur mariage). Le Courant patriotique libre a abordé le sujet à diverses occasions. Et pour être complet sur ce dossier rajoutons que même le patriarche maronite, Bechara Raï, a affirmé le 30 novembre 2011 que « l’Église maronite est en faveur du mariage civil obligatoire pour tous les Libanais. Le sacrement du mariage viendrait ensuite et serait l’expression de la conviction religieuse des mariés. » Il s’est déclaré « en faveur d'un nouveau pacte social en vertu duquel il y aurait séparation entre la religion et l’État ». Impressionnant ! Encore un religieux, comme sayyed Ali el-Amine, qui va là où certains civils n’osent pas y aller.

Et où sont ceux qui s’offusquaient du communautarisme du « vote intracommunautaire » ? Aux abonnés absents ! Personne ne s’est engagé à intégrer cette proposition dans son programme politique pour les élections législatives du 9 juin 2013 et personne n’a dénoncé cette fuite en avant des opposants au « vote intracommunautaire ». Ni les indépendants chrétiens, Boutros Harb en tête, ni le parti sunnite du Courant du Futur, et surtout pas les champions chiites et druzes de l’abolition du confessionnalisme politique au Liban, comme Nabih Berri, Walid Joumblatt et Hassan Nasrallah, les 3 personnages les plus communautaires de l’histoire de la République libanaise. Une autre union nationale sacrée d’intérêts et de circonstances. Si le ridicule ne tue pas, l’hypocrisie encore moins. Et on ose encore s’opposer au vote intracommunautaire dans un lyrisme patriotique et humaniste creux, au royaume du communautarisme où l'on se crêpent le chignon pour le poste douanier vacant au fin fond du Hermel, sans rien faire pour abolir le confessionnalisme des esprits, à part se jeter sur l’idée saugrenue du Sénat, soutenue notamment par Berri et Joumblatt, qui mériterait un article à part entière tellement elle est grotesque dans l’état actuel des choses.

La lutte de pouvoir bat son plein au pays du Cèdre. Telle est en une phrase le résumé des débats de ces dernières semaines sur la loi électorale. L’ensemble de la classe politique libanaise, qu’elle soit pour ou contre le vote intracommunautaire, cherche à gagner le maximum de sièges électoraux. Tout le monde commence à le reconnaître, ce qui n’est pas forcément condamnable sauf quand cela conduit à biaiser la démocratie par le vote en bloc des communautés libanaises et à baiser les électeurs en leur imposant des candidats « agréés » par les forces communautaires dominantes des circonscriptions. Oui la politique c’est une lutte de pouvoir, nous en avons là une magnifique illustration. Et tout ce qu’on vous dira par ailleurs, n’est que palabres et poursuite de vent. Personnellement, j'ai plus de problème avec l'hypocrisie schizophrénique ambiante qu'avec le système confessionnel de mon pays. Aujourd'hui, l'heure de vérité a sonné le glas du mariage civil au Liban ! C’est bien dommage. Mais il est encore temps de faire pression pour que ce point soit un thème électoral. Nous avons jusqu'au 9 juin.


Réf.
Quelle loi électorale pour le Liban ? Le vote intra-communautaire et Abou Nouwéss ! (Art.78) par Bakhos Baalbaki (7 oct. 2012)