vendredi 25 avril 2014

L’élection présidentielle au Liban : une commedia dell'arte qui vire à la tragicomédie (Art.223)


Aucune terminologie ne peut mieux décrire la situation au Liban que celle du titre de cet article. « La commedia dell'arte est un genre de théâtre populaire italien où des acteurs masqués improvisent des comédies marquées par la naïveté, la ruse et l'ingéniosité ». Dans l’adaptation libanaise, il faut rajouter la bassesse, hadan be2elkoun waté !, le comportement humain le plus répugnant qui soit. Voici donc la tragicomédie qui s’est jouée sur la scène du Parlement libanais, place de l’Etoile à Beyrouth, le 23 avril 2014.

Boum, boum, boum !

I. Désolé, mais ce qui s’est passé ce mercredi était plutôt prévisible, malgré l’improvisation. L’élection présidentielle n’est pas tout à fait un match de foot ou un combat de boxe, c’est plutôt un combat de coqs. Il ne suffit pas de faire un bon match et de gagner des points. Seul le résultat final compte. On gagne au nombre de buts marqués et par KO. Certes, ni le 14 Mars ni le 8 Mars n’a gagné avant-hier. Les deux camps ont perdu, mais pas sur le même terrain. Si le 14 Mars a perdu la bataille électorale du 1er tour, le 8 Mars s’est déshonoré pour si peu. Il est indéniable, ils ont leur République à 5 piastres, nous avons la nôtre, et nous la bâtirons coûte que coûte.

II. Malgré la participation folklorique de 124 députés à la séance électorale, sur 128 au total, la démocratie libanaise est en déclin. Michel Aoun vs. Samir Geagea, la finale électorale dont rêvaient beaucoup de Libanais n’aura pas lieu, par le désistement du Général. Nous serions dans un match de boxe, Hakim pourrait donc être déclaré vainqueur. Il a réussi à contraindre tous les députés du 8 Mars, ceux de Hassan Nasrallah, de Walid Joumblatt et de Michel Aoun, à entendre raisonner au-delà des murs et dans leurs têtes, 48 fois le nom « Samir Geagea ». Si comme dit GMA, « certains personnes ont de la mémoire », ô combien sélective, pour justifier les enfantillages sordides de son bloc parlementaire et des vassaux libanais du dernier tyran des Assad, l’histoire elle, a une mémoire infaillible. Elle écrira que le nom « Michel Aoun » ne sera jamais prononcé une seule fois dans l’hémicycle lors d’une séance électorale, malgré toutes les guerres dévastatrices et tant d’alliances inopinées déclenchées et conclues par le général Michel Aoun dans ce but, en trente ans de règne.

III. Le grand perdant de la première séance électorale est incontestablement le général Michel Aoun, victime d’une triple peine. A 81 ans, c’était la dernière occasion de sa vie d’affronter démocratiquement son ennemi juré et de vivre un plébiscite à la De Gaulle, ce dont il rêve depuis 1984. En 2020, il aura 87 ans, sa candidature à la magistrature suprême serait donc une folie. C’est la première peine. Rajoutez à cela, qu’en dépit de la signature d’un pacte de solidarité avec Hassan Nasrallah, Michel Aoun fut incapable de faire adopter sa candidature par son propre allié, malgré tant de zèle et une fidélité sans faille depuis 2006. C’est la seconde peine. Ainsi, il n’a ni réussi ni même osé, ni à se faire élire président de la République libanaise, ni à faire adopter sa candidature par son propre camp, et le pire, ni même à se déclarer candidat, malgré le fait qu’il possède le plus grand bloc parlementaire chrétien et qu'il en a fait une obsession. C’est la troisième peine. Last but not least, bonus de peine, Aoun sait que son ennemi juré a encore trois occasions de se représenter à la présidence de la République libanaise, en 2020, 2026 et 2032. Pas lui, 7ata law kel ela3mar biyad ellah. D’où la bassesse du comportement du 8 Mars avant-hier.

IV. Sauf votre respect, j’ai toujours pensé qu’il y a deux hommes d’Etat dans ce pays : Samir Geagea et Fouad Siniora. Quoi de plus logique alors que de les voir président de la République et Premier ministre, ensemble. Cependant, la candidature du premier dans le contexte actuel est une erreur de stratégie, dont l’intéressé pouvait se passer allégrement. Il n’y a rien à gagner, ni pour lui, ni pour son parti, ni pour son camp, bien au contraire. L’art de la confrontation consiste à surprendre ses adversaires, en ne leur laissant pas le temps de réagir, à ne pas livrer bataille sur un front établi par les adversaires et à ne jamais donner l’occasion de se faire attaquer sur son flanc faible. En tout cas, le 14 Mars, spécialement Samir Geagea, a eu tort de négliger l’article 49 de la Constitution libanaise, relatif aux quorums de séance et d’élection, et de sous-estimer la détermination de l’alliance tricéphale infernale, Hezbollah-Assad-Mollahs, à saboter son élection par tous les moyens disponibles.

V. Nul n’oubliera que plus de la moitié des députés sunnites du Liban ont voté pour le chef maronite du parti des Forces libanaises, malgré la grotesque khousousiyé el traboulsiyé (tout le monde sait que c'est le premier tyran des Assad qui a assassiné l'ancien Premier ministre natif de Tripoli). Curieux, mais ce point me rappelle la journée historique du 14 mars 2005. C’est le mérite personnel de Saad Hariri, il faut le reconnaître. L’ancien Premier ministre a sans doute de bonnes raisons (de sécurité) pour rester en exil. Il n’empêche qu’on ne peut pas espérer gagner une bataille de l’importance de la présidentielle en menant le combat de l’étranger. Ne serait-ce qu’à cause du fait qu’il est lui-même député-électeur, et tous les candidats du bloc du Futur n’ont pas voté pour son allié. Si le courant du Futur tenait réellement à la candidature de Samir Geagea, il fallait non seulement que le chef du 14 Mars vienne voter pour le candidat des Forces libanaises, mais en plus, il fallait annoncer ce soutien urbi et orbi, longtemps à l’avance, et faire campagne pour le candidat à travers des conférences de presse, même de l’étranger. Rajoutez à cela le fait qu’aucune pression n’a été exercée sur la girouette de Moukhtara, pour le faire renoncer à sa ridicule idée de diversion. Rien, absolument rien. Walid Joumblatt n’a fait qu’à sa tête, comme d’habitude, dans l’impunité la plus totale, comme lorsqu’il a rejoint les comploteurs qui avaient décidé le 11 janvier 2011 d’expulser le Premier ministre du Grand Sérail pour remettre le pouvoir entre les mains de la milice chiite pendant deux ans. Saad Hariri aurait dû sommer le bek de choisir son camp, comme le fait d’ailleurs le Hezbollah dans un moment vital. Le bek ne comprend que le langage de la force. Là aussi, erreur de stratégie.

VI. Il est navrant de constater que les députés du 8 Mars ont pris le Parlement ce mercredi pour une cour de récréation. Glisser massivement des bulletins blancs dans l’urne, par 52 députés de la troupe du Sayyed, et se retirer de la salle, pour saboter la séance électorale suivante, afin d’éviter d’affronter le candidat Samir Geagea est certainement un acte autorisé par la Constitution, mais il n’est pas moins lâche pour autant. Le 8 Mars, et Michel Aoun précisément, été plus préoccupé par l’évitement de l’humiliation de la défaite, que par le respect des règles démocratiques. Ceci étant, sur ce point, le 14 Mars ferait mieux de la mettre en sourdine car ses députés seront sans doute amenés à faire de même, si à la prochaine séance, Walid Joumblatt et ses otages, les 16 centristes de pacotille qui ont voté pour sa marionnette, Henri Helou, rejoignent les députés du 8 Mars, les 52 qui ont voté blanc, pour accorder la majorité absolue à un candidat pro-Hezbollah, pro-Bachar, pro-mollahs, comme Emile Rahmé et consorts. Fakro fiya ya chabeb !

VII. L’inscription par six députés du 8 Mars, des noms de Rachid Karamé, Dany Chamoun, Tarek Dany Chamoun, Jihane Tony Frangié et Elias Zayek, sur six bulletins de vote, allusions à certains assassinats et à des dossiers judiciaires concoctés contre Samir Geagea durant la période d’occupation syrienne du Liban par la tyrannie des Assad, reconnus comme tel par Michel Aoun himself, ne peut être l’œuvre que d’une bande de racaille organisée. Cette manœuvre est d’autant plus grotesque que les principaux concernés, Dory Chamoun et Sleiman Frangié, ont reconnu que Samir Geagea n’a pas été impliqué dans ces meurtres. A ce jeu infantile déplacé, les députés du 14 Mars seraient obligés d’inscrire les noms de leurs martyrs recto verso et de voter à plusieurs reprises. En tout cas, il aurait été ô combien plus cohérent pour les pôles du 8 Mars d’inscrire les noms de Moustafa Badreddine et consorts, les cinq membres du Hezbollah qu’ils protègent, les « saints » selon les dires de Hassan Nasrallah lui-même, ceux qui sont accusés par la plus haute juridiction internationale, le Tribunal Spécial pour le Liban, de l'assassinat de Rafic Hariri, l’ancien Premier ministre libanais.

VIII. A l’avenir pour éviter une partie des enfantillages des députés libanais du 8 Mars, il faudrait adopter trois réformes constitutionnelles. La première concerne la tenue des séances électorales, dont les dates devraient être fixées automatiquement, sans l’intervention du président de l’Assemblée. La seconde concerne l’obligation des députés libanais de se rendre au Parlement pour l’élection présidentielle, à toutes les séances. A défaut, ils perdraient tous les émoluments de leur mandat. Certains députés libanais ne comprennent ni l’intérêt national ni celui des électeurs. Ils ne comprennent que l’intérêt de leur poche et de leurs proches. La troisième, concerne le déroulement du scrutin qui devrait, pour une plus grande efficacité, s’inspirer de celui du Vatican, qui a fait ses preuves au cours des 1 950 années précédentes. Les députés du Liban siégeraient en conclave au Parlement, c’est-à-dire ils ne pourraient plus sortir avant l’élection d’un nouveau président pour le pays. Ça évitera la fuite des députés dès qu’un nom ne leur plait pas, pour saboter le quorum de séance, et de perdre six mois pour connaitre le nom de l’heureux élu, comme ce fut le cas la dernière fois.


Post-scriptum

1. Nabih Berri apparait plus que jamais comme le vieux renard de l’Assemblée. Ça apprendra à tout le monde de l’élire encore en 2032 !

2. Walid Joumblatt prend encore et toujours la démocratie libanaise en otage. Beaucoup de Libanais espèrent que cette tare ne soit pas héréditaire. En attendant, politiciens et journalistes du 14 Mars s’ingénient pour éviter de dire ses quatre vérités au leader druze du Parti socialiste libanais. Et pourtant j'ai beau leur dire que tout ce qui est bâti sur des sables mouvants au Liban, s’écroulera, ils continuent à construire des châteaux en Espagne, et à hisser sur leurs toits, la girouette de Moukhtara. 

3. Il semblerait que Nayla Tuéni existe en chair et en os. Les électeurs d’Achrafieh étaient contents de l’apprendre. Mais ils ont vite déchanté quand ils ont découvert qu’elle aurait voté pour la marionnette de la girouette. Ma3lé, ils sauront s’en souvenir, surtout qu’elle avait fait la promesse de campagne, de rejoindre le bloc des FL après les élections. Lol, maheik?

4. Bakhos Baalbaki pense que Sethrida Geagea peut se passer des chaussures à talons hauts. Khamesta3char centi ? Enno mich darouré abadann ! Elle ne perdra rien de son charme et libérera les bras de ses cavaliers du bloc des FL pour faire autre chose que de l'accompagner et soutenir dans sa démarche.

5. Gilberte Zouein continue à faire vœu de silence pour la 10e année consécutive de son mandat parlementaire. Hey, by the way, peu de gens d’entre vous savent, j’en suis sûr, que la députée aouniste est présidente, tenez-vous bien, de la « Commission parlementaire de la femme et de l’enfant » depuis plusieurs années. Et devinez qui en est le rapporteur ? Nayla Tuéni herself, une autre adepte du vœu de silence. Après, on s’étonne que les députés-mâles ont fait voté une loi amputée pour protéger les femmes libanaises de la violence domestique ! Ba2a ya sabaya ya helwinn, choufo chou badkoun ta3emlo.

6. Okab Sakr est toujours porté disparu depuis son implication dans un trafic de couches-culottes et de cure-dents en Syrie. Un nouvel avis de recherche est lancé pour la 4e année consécutive, avec toujours un espoir de ses sympathisants de réentendre un jour la voix de leur député-fantôme.

7. Le vote des députés est secret, mais il semblerait que Robert Ghanem, candidat à la présidence de la République libanaise since 1995, saint patron des promoteurs et membre du bloc du Futur, n’a pas voté pour Samir Geagea. Ça apprendra aux députés des FL de voter gentiment sa loi de libéralisation sauvage des loyers à Beyrouth il y a trois semaines.

8. Tenez, encore un truc. Samir Geagea a obtenu des voix de toutes les communautés libanaises (sunnite, maronite, grec orthodoxe, grec catholique, arménien catholique, arménien orthodoxe, chiite, alaouite, protestante et minorités) à l’exception de la communauté druze. Aucune voix. Et pourtant, les sympathisants du 14 Mars croyaient naïvement qu’il y en avait un dans la poche. Eh bien, non, Marwan Hamadé a préféré Henri Helou. Khousousiyét el taïfé el derziyé, ma heik ?

9. Breaking News. On apprend à l’instant, qu’après une réunion d’urgence du bloc du changement et de la réforme, Général el-Rabieh a ordonné le retrait de tous les miroirs de sa maison de Rabieh et l’arrachage des rétroviseurs de toutes les voitures dans un rayon de 2 km autour de sa résidence. Une enquête est en cours pour connaitre les raisons exactes de cet acte impulsif. Hakim Meerab, magheiro, pense que c’est en rapport avec sa déception de ses alliés et une altération grave de l’image de soi. Enno fiya nazra.

Rideau !

Réf.
Qui de Samir Geagea et de Michel Aoun, rejoindra Camille Chamoun, Fouad Chehab et Bachir Gemayel ? Réflexions sur l’élection présidentielle au Liban (Art.222) / Bakhos Baalbaki

Et si le 14 Mars remplaçait Samir Geagea par Michel Aoun ? Les trois options du général : la grande porte, la petite porte ou la trappe (Art.230) / Bakhos Baalbaki