jeudi 31 août 2017

Encore ce triomphalisme insolent du Hezbollah en août 2017, comme en mai 2008 et en juillet 2006, et toujours des béni-oui-oui pour l'applaudir (Art.460)


Même pas peur du ridicule, la suite. « Nous avons mené des raids aériens qui ont créé un cratère et détruit un petit pont, afin d'empêcher le convoi (de centaines de jihadistes de Daech évacués du Liban) de progresser vers l'Est (de la Syrie)... Si nous pouvons frapper l'Etat islamique ou nous sommes en mesure de le faire sans nuire aux civils, nous le ferons. » C'est ce qu'a déclaré hier, le colonel Ryan Dillon, le porte-parole de la Coalition internationale. Il y a 96% de chances que ça soit un avion américain. Comme c'est enquiquinant. Après les bus climatisés pour que les jihadistes ne souffrent pas trop de la chaleur accablante du désert syrien, les glaces à l'eau de rose pour relever la romance, la cellule psychologique spécialement dépêchée par Hassan Nasrallah pour atténuer le traumatisme du déracinement, les rasoirs Gillette distribués par Bachar el-Assad dans les bus pour que les affreux énergumènes se fassent tout beau, il va falloir qu'on leur trouve des chambres d'hôtel dans la région en attendant une éclaircie. Bon, pour tuer l'ennui, Asma el-Assad, une autre serpent de la Genèse comme Claire Underwood, grrrrrrr, profitera peut-être pour leur faire une visite guidée de la vieille ville de Palmyre. Le régime pourra même les déradicaliser et les réintégrer dans l'armée syrienne et réussir l'exploit de recycler ces jihadistes jetables. Trêve de plaisanteries, allons dans le vif du sujet.


Flashback. Fin juillet, le Hezbollah mène dans la précipitation, une opération milicienne que j'ai appelée « Anti-Liban 1 » sur le versant ouest de la magnifique chaine de montagnes de l'Est du Liban, pour couper l'herbe sous les rangers de la troupe. Quelque semaines plus tard, l'armée libanaise lance une opération militaire sur le versant ouest de l'Anti-Liban (Liban), baptisée « Fajr el-Jouroud », en faisant fi des désespérantes tentatives du Hezbollah pour établir une coordination officielle avec une opération milicienne déclenchée quelques heures plus tard à la hâte côté syrien, par la milice chiite libanaise et le régime alaouite syrien, qu'on peut appeler « Anti-Liban 2 ».

On nous dit que c'est dans l'intérêt du Liban, et patati et patata, et patatipatali et patatatipatala, blablabla. Ouf, si vous y arrivez, chapeau! Cette tragédie en trois actes qui s'est déroulée sur le mont Anti-Liban, quelle appellation ironique!, posent à certains Libanais dont je fais partie, trois problèmes majeurs.

. Le premier concerne le théâtre des opérations. Tout ou presque se déroule au Liban et pourtant, les dirigeants de l'Etat libanais sont aux abonnés absents ou presque. Pas de réunion de crise, pas de mobilisation générale, pas d'état de guerre, pas de déclaration saisissante, rien, que dalle. Tout ce qui semble les intéresser c'est l'application stricte du Code de la route aux bus de Daech.

. Le second concerne les cinq protagonistes. Ils sont tous considérés comme des entités terroristes (officiellement ou officieusement), par l'écrasante majorité des pays du monde, (pays arabes, européens et occidentaux notamment), à l'exception de l'armée libanaise, qui a le respect du monde entier. Voilà pourquoi les manigances de Hassan Nasrallah depuis des mois pour forcer la coordination-coopération entre le Liban et la Syrie étaient un vœu pieux et grotesque.

Gebran Bassil, ministre libanais des Affaires
étrangères et chef du Courant patriotique libre,
allié du Hezbollah depuis le 6 février 2006,
à deux jours d'intervalle svp !
. Le troisième concerne l'épilogue. Il renferme une fin heureuse et trois fins malheureuses. D'une part, le territoire contrôlé par Daech et Nosra est libéré. D'autre part, on apprend que les militaires kidnappés en août 2014 sont morts. Pire encore, ils auraient été tués en février 2015. Le directeur général de la Sûreté générale, Abbas Ibrahim, l'a affirmé à trois reprises. La dernière fois, il a précisé que l'Etat libanais était même « en possession de photos des corps des militaires enlevés ». Il faut croire que le général tient à faire passer le message! Et pourtant, cela ne semble offusquer personne de l'échiquier politique et d'une partie de la société civile à l'indignation sélective: les dirigeants libanais ont décidé de prolonger le calvaire des familles des militaires de deux ans et demi. Et alors? Faut pas faire un drame! Plus grave encore, les terroristes de Daech et Nosra, sont repartis sains et saufs comme si de rien n'était, grâce au bon vouloir de Hassan Nasrallah et à la bienveillance de Bachar el-Assad, toujours dans l'indifférence générale des dirigeants libanais et d'une partie de la société civile, alors que les jihadistes sont responsables des attaques des positions de l'armée libanaise et des forces de sécurité intérieure dans la Bekaa en août 2014 (au cours desquelles, une trentaine de militaires ont été kidnappés et plusieurs dizaines tués et blessés), ainsi que de la décapitation et de l'exécution par balle de quatre militaires libanais en captivité (2014) et de l'exécution de huit autres dans des conditions non encore élucidées (2015).

Et dire que certains compatriotes ne savent plus quoi inventer pour défendre l'immonde et dédouaner les dirigeants de l'Etat libanais et du Hezbollah. « Ah mais tout s'est déroulé en Syrie! » Mais voyons, les jihadistes de Daech et Nosra n'étaient en réalité que des randonneurs adeptes du camping sauvage qui s'étaient égarés dans l'Anti-Liban peut être. Et les attaques, les enlèvements, les décapitations, les exécutions, les combats, les morts et les blessés, ils ont tous eu lieu en Syrie peut être aussi, allez savoir ! Pathétique. En tout cas, de deux choses l'une: soit l'Etat voulait arrêter ces criminels et les juger, mais ils sont filés clandestinement en Syrie, avec les guides de montagne du Hezb ; soit ils sont passés au vu et au su de tout le monde. Le premier cas pose le problème chronique du contrôle de la frontière syro-libanaise hermétiquement et dans les deux sens. Le deuxième pose le problème de la complicité des dirigeants de l'Etat libanais avec le Hezbollah.

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Cela fait des semaines que je l'écris dans mes articles, le Hezbollah s'est lancé depuis cet été dans une recherche désespérée d'une « victoire ». Il lui en faut une, c'est vital. La communauté chiite libanaise en générale et les miliciens du Hezbollah en particulier ont été très éprouvés par les six années de guerre en Syrie. Ils ont perdu près de 2 000 combattants chiites dans une guerre civile enlisée, dans un pays voisin, pour sauver la tyrannie alaouite des Assad et s'embrouiller pour le reste du siècle avec les communautés sunnites arabes, par la faute d'Ali Khameneï, le guide suprême de la République islamique d'Iran, le seul à même de se prononcer sur les questions stratégiques de l'Internationale Chiite, à laquelle adhère le Hezbollah.

Qu'importe que « sa victoire » soit fausse. La « victoire divine » de juillet 2006 nous a couté plus de 1 200 morts et l'équivalent de 50% de notre PIB, contre 4% côté israélien, afin de libérer Samir Kuntar, un ressortissant libanais auteur d'une attaque terroriste palestinienne sur le territoire israélien commise en 1979 et du meurtre d'une fillette israélienne de quatre ans, tête écrasée avec la crosse d'un fusil devant son père, pour qu'il aille finir ses jours en combattant aux côtés du régime syrien. Qu'importe que « sa victoire » soit honteuse. Le « jour glorieux » de mai 2008 a fauché la vie de près de 75 Libanais, saboter l'autorité de l'Etat et mis le Liban tout entier à deux doigts de la guerre civile. Qu'importe que « sa victoire » soit humiliante. La « deuxième libération » d'août 2017, que le Hezbollah fêtera aujourd'hui, a conduit au retrait sous bonne escorte des terroristes de Daech et de Nosra, de l'Anti-Liban vers la Syrie, alors qu'ils sont responsables de l'exécution d'une douzaine de soldats de l'armée libanaise, dont au moins deux par décapitation et deux par une balle dans la tête, photographiée et diffusée sur les réseaux sociaux. On voit bien bien que le Hezbollah n'a rien à foutre ni du Liban ni des Libanais ni de l'armée libanaise. On pourra rajouter, ni des combattants chiites ni de la communauté chiite toute entière d'ailleurs. Ce qui compte pour le Hezb ce sont les intérêts de l'Internationale Chiite tels qu'ils sont fixés par wali el-fakih, Ali Khameneï.

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Tous les Libanais sans exception sont aujourd'hui reconnaissants et fiers du sacrifice et de l'exploit de l'armée libanaise. Par sa combativité, sa force de frappe et sa puissance de feu, elle a magistralement rempli sa mission : libérer le territoire libanais occupé par l'Etat islamique et ramener à leurs familles, les dépouilles des enfants de la patrie sauvagement exécutés par cette organisation terroriste multinationale agonisante à dominante syro-irakienne. Ce point ne fait pas débat.

C'est sur le reste de l'histoire que les Libanais se divisent. Aujourd'hui, une frange de Libanais, les partisans du Hezbollah et du Courant patriotique libre, se rendront dans la Bekaa, à la demande du parti et de la milice chiite, pour fêter la « deuxième libération ». D'autres y seront de tout cœur avec eux. C'est leur droit. El-Baalbaki fait partie de celles et ceux qui n'iront nulle part et ceci pour trois raisons.

. Primo, figurez-vous el chabibé el taïbé ne savent pas compter. Mais enfin, ce n'est pas la deuxième libération dont il s'agit, mais de la troisième, pardi! La deuxième libération a eu lieu le 26 avril 2005, quand les troupes syriennes de la tyrannie des Assad ont quitté le Liban, après 29 ans d'occupation et tant de bombardements, de massacres, d'assassinats et de répressions. On pourra même dire que c'est la quatrième en fait, en reconnaissant que la première correspond à celle où l'on a mis fin à l'Etat dans l'Etat, à l'anomalie de l'époque que constituait l'OLP, l'Organisation de la Libération de la Palestine, au Liban. Que le Hezbollah ait commis cette erreur de comptage historique grossière, c'est compréhensible. Il l'a fait exprès. Il vit dans sa bulle. Puis, rappelez-vous, il a crié haut et fort un certain 8 mars 2005 « Merci la Syrie des Assad » et tenter désespérément de perdurer l'occupation syrienne du Liban. Mais alors, que le Courant patriotique libre, ne se rend pas compte de ce mépris, et aille applaudir naïvement à Baalbek l'héros du jour, c'est aussi incompréhensible qu'impardonnable.

. Secundo, l'invitation émane du Hezbollah et de ce fait, elle pose problème à certains compatriotes comme moi. Avec ce parti-milice le passif est lourd, très lourd. On y trouve le maintien de sa milice et la détention d'armes en violation de la Constitution libanaise et des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU 1701 et 1559 (27 ans après la fin de la guerre civile libanaise) ; les assassinats politiques dont celui de Rafic Hariri et de 21 autres personnes (mais diable, comment peut-on fêter quoi que ce soit avec le Hezb alors qu'en ce moment même, les victimes de l'attentat terroriste du 14 février 2005 sont à la barre du Tribunal Spécial pour le Liban à La Haye pour crier leur douleur!) ; la constitution d'un Etat dans l'Etat (armes, réseaux de télécommunication, contrôle du port de Beyrouth et de l'aéroport, zones de non droit, etc.) ; les violations de la souveraineté libanaise (les opérations Anti-Liban par exemple) ; l'implication du Liban dans la guerre civile en Syrie (qui est en partie responsable de l'afflux des réfugiés syriens et des jihadistes au Liban) ; sa classification comme entité terroriste par les pays arabes et européens (ainsi que les Etats-Unis) ; la volonté d'établir une république islamique chiite au Liban (comme l'affirment des dirigeants du Hezb régulièrement, la dernière fois c'était cheikh Naïm Qassem en 2016!) ; et j'en passe et des meilleures. Alors, ça va aller ou je continue ?



. Tertio, ce que le Hezbollah et le Courant patriotique libre, alliés depuis le 6 février 2006, fêtent aujourd'hui est totalement inacceptable. D'une part, la libération du territoire libanais de l'organisation terroriste Daech et le retour des dépouilles des militaires, c'est à l'armée libanaise que les Libanais le doivent. Ainsi, il revient à la troupe seule de le faire et sans aucun partage. Fêter quoi que ce soit avec une milice illégale alors que l'armée nationale est en deuil et n'a encore rien fêté en grande pompe, est tout simplement indécent! D'autre part, nous nous réjouissons bien entendu du fait que le Liban soit aujourd'hui débarrassé de l'autre organisation terroriste, Fateh el-Cham (ex-Nosra). Mais, nous n'avons rien demandé à la milice chiite, c'était à l'armée libanaise de le faire, et elle allait le faire si la milice chiite n'avait pas précipité son opération Anti-Liban 1. Pire encore, il n'a échappé qu'aux aveugles et aux autruches que le Hezbollah ne l'a fait que pour être sur le podium des vainqueurs justement, remonter le moral de ses troupes, ramener ses fidèles pour l'applaudir et tenter de convaincre les récalcitrants qu'il a apporté sa contribution à la libération du territoire libanais des jihadistes syriens et que de ce fait, « l'anomalie » qu'il constitue au Liban, est pleinement justifiée et doit perdurer ad vitam aeternam. Et puis au-delà de tout cela, comment n'éprouvent-ils aucune gêne à nous demander de fêter leur victoire, alors que la fin de l'histoire est tout simplement honteuse? Le Hezbollah et le régime d'Assad, des entités terroristes, ont négocié avec deux organisations terroristes, Daech et Nosra, qui ont attaqué l'armée libanaise, enlevé des militaires libanais et exécutés des enfants de la patrie, pour les laisser partir en Syrie, comme si de rien n'était. Non merci, c'est avec Gebran Bassil et le Courant patriotique libre peut-être, mais c'est sans nous. Comme l'affirme le colonel Ryan Dillon : « Leur prétention de combattre le terrorisme semble creuse lorsqu'ils permettent à des terroristes connus de transiter par le territoire qu'ils contrôlent. L'Etat islamique-Daech est une menace mondiale. La relocalisation d'un endroit à un autre, n'est pas une solution durable ». Et encore, il est très poli.

*

Parlons peu, parlons bien. Aujourd'hui, nous avons deux Liban irréconciliables. On a d'un côté, les Libanais qui gobent encore la mythologie du Hezbollah en 2017, comme en 2008 et en 2006, et de l'autre côté, les Libanais qui résistent à toute cette mascarade. Dans votre Liban, les assassins échappent à la justice, qu'ils aient tué un Premier ministre ou des soldats. Dans notre Liban, ils sont capturés, jugés, condamnés et emprisonnés. Dans votre Liban, vous fêterez la « deuxième libération » autour d'une milice illégale, dans la joie, la bonne humeur et l'amnésie générale. Dans notre Liban, nous fêterons la « quatrième libération », après avoir enterré dignement nos morts et une période décente de deuil, avec l'armée libanaise seule et sans partage.