jeudi 18 février 2016

Un sondage qui confirme que Hariri et Geagea nagent dans l’absurde (Art.340)



Ça vaut ce que ça vaut un sondage ! Ça va surtout le détour quand il vient corroborer ce que j’ai avancé dans mon dernier article sur les stratégies erronées suivies par Saad Hariri et Samir Geagea concernant l’approche de l’élection présidentielle au Liban. Pour le besoin du débat, admettons d’emblée que l’enquête d'opinion de la société Ara', publiée dans al-Safir hier, est tout ce qu’il y a de plus sérieuse. Il n’y a pas de raison apparente d’en douter. Mais, comme on peut tout faire dire aux chiffres, voici ce que je souhaite faire dire au sondage du quotidien libanais personnellement.

*

I. QUE PENSENT LES LIBANAIS DANS L'ENSEMBLE, ET LES COMMUNAUTÉS LIBANAISES SPÉCIFIQUEMENT, DU SOUTIEN DE SAMIR GEAGEA A MICHEL AOUN ?


1. Une majorité relative des 500 LIBANAIS interrogés, représentatifs de la répartition démographique de la population libanaise, soit 55%, trouvent que le soutien apporté par Samir Geagea à Michel Aoun, dans sa course présidentielle, est une chose « très positive/plutôt positive », contre 16% qui pensent que c’est quelque chose de « très négative/plutôt négative », 29% « ne savent pas/ne se prononcent pas ». Même si ce point légitime la démarche entreprise par les deux leaders chrétiens au niveau national, #JeSuisDansLaMinorité, soit dit au passage.

2. C’est au niveau des CHRÉTIENS qu’on trouve une majorité de gens qui pensent que c’est une chose « très positive », 49%, suivis par les DRUZES (29%), surprise sur prise ! En tout cas, 3/4 des Chrétiens interrogés valident le rapprochement en considérant cette démarche comme étant globalement « positive ». Soit. Il n'empêche que je ne partage pas cet optimisme, encore moins l'enthousiasme qui l'entoure.

3. Quelle que soit la confession, sunnite comprise, près de 1/3 des personnes interrogées trouvent quand même que c’est « plutôt positif », sauf chez ceux qui n'ont pas déclaré de religion.

4. Par contre, entre 20 et 29% des CHIITES et des SUNNITES interrogés, pensent que ce soutien est une action « négative », contre 6% chez les Chrétiens. L’important écart islamo-chrétien est clair et net.

5. Assez surprenant, plus de 3/4 des CHIITES interrogés, ne pensent pas que ce soutien est quelque chose de « très positive », alors que le Hezbollah considèrent le général Aoun comme son candidat indéfectible. Je laisse au général la liberté de comprendre pourquoi c'est ainsi et à hakim le soin de faire le diagnostic du problème. 

6. Une majorité relative de DRUZES, 38%, ne savent pas quoi en penser ou ne répondent pas. Ils sont sans doute embrouillés par la girouette de Moukhtara, Walid Joumblatt, qui soutient à la fois le candidat-muet Henri Helou et le beik de Zgharta, Sleimane Frangié.

7. Une majorité absolue de « LAÏCS » (j’ai pris la liberté de désigner la catégorie des personnes qui n’ont pas donné de réponse sur leur religion de « laïcs » ; ils ne le sont pas forcément ; quel dommage que le sondeur n'ait pas osé aller aussi loin et aussi explicitement), 56%, ne savent pas quoi penser de l’événement ou ne répondent pas à la question. Pas de souci, les autres savent et pensent à leur place. 

*

II. QUI PRÉFÈRENT LES LIBANAIS DANS L'ENSEMBLE, ET LES COMMUNAUTÉS LIBANAISES SPÉCIFIQUEMENT, MICHEL AOUN OU SLEIMANE FRANGIÉ ?


1. Au niveau de l’ensemble du pays, la majorité absolue des LIBANAIS interrogés, 53 %, "rejettent" de facto les deux candidats (en tout cas, ils ne les choisissent pas ; soit parce qu’ils ne veulent « aucun des deux » pour 15%, soit parce qu’ils « ne savent pas /ne répondent pas » pour 38%). Frangié n’a que 26%, Aoun 21%. Il existe un écart intéressant selon le sexe concernant le général. Contrairement à ce que certains pensaient jusqu'à maintenant, le score de ce dernier monte à 25% chez les hommes et tombe à 17% chez les femmes. Pas de doute, pour la peine #JeSuisFemme.

2. La majorité relative des CHRÉTIENS interrogés, 46 %, "rejettent" de facto les deux candidats, ou disons qu'ils ne les choisissent pas ("aucun des deux/ne sait pas/ne répond pas"). Donc, #JeSuisChrétien. Aoun ne recueille que 37 % et Frangié 16 %. Ainsi, une majorité écrasante des Chrétiens, 84 %, ne veulent pas de Frangié explicitement, sinon ils l'auraient exprimé clairement. Voilà pourquoi je dis dans mon dernier article que le Futur marche sur des œufs en soutenant le beik de Zgharta, le candidat indésirable des Chrétiens.

3. Il est intéressant de relever que l’écrasante majorité des SUNNITES, 95%, ne veulent pas d’Aoun explicitement et 65 % ne veulent pas de Frangié explicitement non plus. Alors là, #JeSuisSunnite, sans aucun doute. Donc, comme je l’ai dit dans mon dernier article, Geagea fait du « forcing » en soutenant Aoun, le candidat indésirable des Sunnites. Et voilà pourquoi je dis aussi que Hariri se tire une balle dans le pied en soutenant Frangié, un candidat largement "désapprouvé" par sa communauté. 

4. Ce qui attire l’attention aussi c’est le fait qu’au niveau des CHIITES interrogés, Frangié a plus la côte qu’Aoun, 37% contre 27% svp ! Donc, cela revient à dire que 3/4 des Chiites interrogés ne choisissent pas le fidèle allié du Hezbollah depuis 10 ans. Contrairement à une idée répandue par le Hezb et le CPL, Aoun n'est donc pas le candidat le plus désirable des Chiites. Vive la confiance ! Avis au général.

5. C’est au niveau des DRUZES que l’on trouve le plus de gens qui rejettent explicitement les deux candidats (24%) et le moins de sympathisants pour Sleimane Frangié (15%). Tiens, #JeSuisDruze pour quelques heures. On remarque aussi qu’une majorité relative de Druzes, 51%, ne savent pas ou ne donnent pas de réponse. Alors là, #JeNeSuisPlusDruze.

6. Au niveau des « LAÏCS », 2/3 ne savent pas quoi en penser ou ne donnent aucune réponse à la question. Pas de souci, les autres savent très bien quoi en penser et pensent à leur place! Du coup, #JeNeSuisPasLaïc. Mais, si ! Enfin, vous m’avez compris.

*

Il est clair depuis longtemps que l’élection présidentielle libanaise était passée d’une commedia dell'arte à une tragi-comédie. Le problème aujourd’hui, c’est qu’on entre dans la tragédie pure. Saad Hariri et Samir Geagea ne savent plus quoi inventer pour insuffler un peu de vie dans leurs projets présidentiels mort-nés, en appuyant énergiquement deux candidats indésirables, massivement rejetés par les communautés chrétiennes et sunnites, Sleimane Frangié et Michel Aoun, qui ont déclaré « ne formant qu’une seule personne avec Hassan Nasrallah », et qui ne cachent pas leur souhait de voir la tyrannie de Bachar el-Assad triompher en Syrie. Et pendant que les deux leaders de 14-Mars s'agitent pour sacrifier la magistrature suprême sur l'autel du 8-Mars, le chef du Hezbollah, qui bloque l’élection présidentielle depuis près de deux ans, comme les deux présidentiables d'ailleurs, n’a même pas jugé utile d’aborder le sujet dans son dernier discours, le 16 février, faisant fi des initiatives du cheikh et du hakim. Il n'y a pas de doute, nous sommes vraiment dans le surréalisme politique et l’absurde

Réf.