samedi 29 août 2015

A l’heure des comptes, les activistes de « Tol3et re7etkom » doivent eux aussi rendre des comptes (Art.308)


Manifestations du weekend 22-23 août 2015,
devant les sièges du Conseil des ministres
et de l'Assemblée nationale 
Photo: Keystone-AP, Bilal Hussein

Partant du dernier communiqué du mouvement Tol3et re7etkom (Vous puez / You stink), appelant à manifester le samedi 29 août 2015, place des Martyrs à Beyrouth, voici quelques remarques sur les dix points qui ont retenu mon attention :

1 & 8. Les activistes de Tol3et re7etkom se félicitent de la pression exercée pour « fermer la décharge de Naamé ». Ils ont le culot aussi de réclamer la démission du ministre de l’Environnement, Mohammad Machnouk, pour « son échec à accomplir son devoir et à éviter la crise des déchets ». Eh bien, les petits malins de ce mouvement devraient savoir que c’est précisément cet acte irresponsable de la fermeture de la décharge de Naamé qui est à l’origine de l’accumulation des ordures ménagères devant les immeubles et les maisons des Libanais à Beyrouth et dans la région du Mont-Liban. On ne ferme pas la seule décharge disponible pour recevoir les ordures de plus deux millions de Libanais, plus de centaines de milliers de réfugiés syriens, avant de trouver un plan B. Tout le monde sait ou devrait savoir, que même si le 17 juillet dernier, à la fin du contrat de Sukleen avec l'Etat, on avait trouvé des remplaçants à cette société, les nouvelles entreprises auraient eu besoin de six mois à un an, pour accomplir les tâches de ramassage et de traitement des ordures. A l’heure des comptes, les activistes qui sont impliqués dans cette fermeture irresponsable de cette décharge, doivent eux aussi rendre des comptes devant le peuple libanais.

2. Il parait qu’une semaine après cette fermeture, les activistes ont décidé de « retourner les poubelles à leur lieu d’origine : le Sérail gouvernemental ». Erreur populiste, erreur d’aiguillage, erreur monumentale. Tout le monde sait ou devrait savoir que c’est le leader druze, Walid Joumblatt, qui a fait pression via Tol3et re7etkom, pour éviter la réouverture de la décharge de Naamé, temporairement évidemment, après le déclenchement de la crise, en attendant de mettre en œuvre une solution durable, quitte à laisser le Liban crouler sous les ordures. Ainsi, les premiers sacs-poubelles auraient dû atterrir au palais de Moukhara plutôt qu’au Grand Sérail. Mais Tol3et re7etkom en a décidé autrement.

3 & 4. Les activistes prétendent que « le sit-in devant le Parlement et le Grand Sérail (siège du gouvernement) était pacifique » et que les gars du mouvement n’ont fait que de « petites heures ». Foutaises. Dans ma revue de presse sur toutes les déclarations de Tol3et re7etkom, j’ai démontré qu’il y avait une volonté de durcir le mouvement dès le départ. Quant au caractère pacifique des protestations, c’est un mensonge comme le montrent la photo ci-dessus et diverses photos du weekend violent du 22 et du 23 août, où l’on a vu ces soi-disant « pacifistes », indépendamment de la horde de casseurs qui seraient d'après plusieurs indices des partisans du Hezbollah et d'Amal, tenter d’arracher les barbelés qui protègent les sièges des hautes institutions de l’Etat libanais : le Conseil des ministres et l’Assemblée nationale. A l’heure des comptes, les activistes qui sont à l’origine de cette idée irresponsable devraient eux-aussi rendre des comptes.

5. Convaincre les Libanais que Tol3et re7etkom est dirigé contre toute la classe politique est une chimère comme le prouve la publication le 22 août sur la page Facebook du mouvement, de la photo d’une pancarte travaillée et flambant neuve, brandie par des manifestants : « Certaines ordures ne devraient pas être recyclées ». On y voit des sacs-poubelles de toutes les couleurs, surmontés de la tête des différents dirigeants libanais, à l’exception de Hassan Nasrallah. Malgré 655 commentaires dont l’écrasante majorité en rapport avec cette absence remarquée qui ne passe pas inaperçue, une couleuvre difficile à avaler et qui reste à travers la gorge de beaucoup de manifestants sincères et désabusés, les activistes de Tol3et re7etkom n’ont pas jugé utile d’apporter le moindre éclaircissement. Silence radio, politique de l’autruche. Et ça veut critiquer les dirigeants politiques !

6. Les activistes prétendent aussi qu’ils ont pu arrêter l’attribution du marché des ordures. Faux, l’annulation de l’appel d’offres a été décidée par le Conseil des ministres, qu'ils rejettent, à l’ouverture des dossiers présentés par les différentes entreprises en lice, à cause des prix élevés proposés par les intéressés, qui sont au-dessus des prix pratiqués par l’entreprise Sukleen qui avait la charge du ramassage et du traitement des ordures ménagères au Liban depuis 1994.

7. Ce qui surprend dans ce communiqué de presse, c'est qu'il n’y a pas un mot sur les débordements et la violence du weekend du 22-23 août, ni sur le saccage infâme du centre-ville de Beyrouth. Et pourtant les images que tous les Libanais ont vues sont consternantes. En tout cas, s’il faut enquêter sur la réalité de l’usage excessif de la force durant ce weekend, il faut aussi que les activistes de Tol3et re7etkom rendent des comptes sur leurs responsabilités dans l’agression attestée des forces de l’ordre et dans l'appel d'air qu'ils créent en organisant leurs manifestations exprès en face des centres du pouvoir libanais, le Grand Sérail et le Parlement, en fin de journée et à la tombée de la nuit, ce qui permet à des hordes de casseurs d'opérer sous l'ombrelle de Tol3et re7etkom, rendant l'intervention des Forces de sécurité intérieure et de l'armée libanaise plus compliquée. 

9. Ce point est sans doute la preuve de l’amateurisme étonnant de ce mouvement, même sur la question des déchets et de la corruption. Tol3et re7etkom réclame le transfert vers les municipalités libanaises, de l’argent affecté au traitement des déchets, qui est actuellement prélevé aux municipalités et mis dans une caisse qui dépend de l’Etat. En gros, les activistes veulent que les municipalités libanaises prennent en charge la gestion financière des déchets. C’est tragicomique ! Il faut savoir que ces municipalités ne peuvent pas seules couvrir toutes les dépenses liées à la gestion des déchets, à moins d’augmenter encore les impôts locaux. Elles ont besoin de l’Etat. Mais admettons cette configuration. Enfin, je ne sais pas à quel point il faut être déconnecté de la réalité pour ignorer que c’est au niveau municipal qu’il y a le plus de corruption au Liban. Alors, prétendre combattre la corruption et réclamer le transfert de centaines de millions de dollars aux centaines de municipalités libanaises, est une hérésie hallucinante.

10. Le pont dix, c’est le pompon. Il comporte deux bonnes nouvelles et une mauvaise. La première bonne nouvelle c’est de constater que les gars de Tol3et re7etkom ont fini par comprendre, comme je l’ai dit dans mon dernier article, que le gouvernement de Tammam Salam ne tombera pas, et qu’il faut oublier, must forget, yenso almawdou3, de réclamer d’une manière irresponsable sa démission. La deuxième bonne nouvelle c’est de découvrir que les gars de Tol3et re7etkom ont fini par comprendre aussi que ce n’est pas la peine de faire de la propagande sur « l’illégalité » de l’autoprorogation du Parlement libanais, puisque le Conseil constitutionnel a rejeté le recours en invalidation déposé par les députés de Michel Aoun « pour éviter la vacance généralisée dans les institutions constitutionnelles ». Soit. La mauvaise nouvelle, c’est la réclamation par les activistes de « l’organisation d’élections législatives », comme ça en trois mots secs. Et pourtant, il y a deux problèmes avec cette demande populiste émise à la légère. D’une part, cela suppose que ces élections se dérouleront selon la loi électorale en vigueur, celle dite de 1960, une loi féodale qui n’assure pas une bonne représentation des Libanais, une soi-disant préoccupation de ces activistes, et qui est rejetée par tous les partis politiques chrétiens, les Forces libanaises, les Kataeb et le Courant patriotique libre, ainsi que par tous les indépendants, toutes appartenances communautaires et tendances politiques confondues. D’autre part, comme par hasard, les activistes de Tol3et re7etkom, zappe une élection fondamentale, en faisant fi de la vacance présidentielle actuelle, qui dure depuis le 25 mai 2014. Pas un seul mot, c'est quand même stupéfiant ! La raison en est simple, parler de l’élection présidentielle les obligera à dénoncer les auteurs du blocage de la vie politique libanaise, Michel Aoun et Hassan Nasrallah, dont les députés ont boycotté 26 séances électorales depuis un an et demi, empêchant de ce fait, l'élection du 13e président de la République libanaise. Et si j’ai tort, qu'ils prouvent le contraire, en dénonçant les fautifs.

Vouloir combattre la corruption et demander des comptes avec du populisme et une langue de bois bien pendue, non merci. Je n’y suis pas, je n’y reste pas. Je fais partie des gens qui en ont assez de l’amateurisme et de l’irresponsabilité de certains hommes politiques. Alors, franchement, ce n'est pas la peine d’en rajouter.

Pour revenir aux choses sérieuses, les déchets, à l’origine de ce mouvement subversif, le gouvernement de Tammam Salam doit déclarer l'état d'urgence sanitaire et ordonner la réouverture immédiate de la décharge de Naamé, jusqu’à nouvel ordre, que ça plaise ou non à Walid Joumblatt, et charger la société Sukleen de nettoyer le Liban des monticules d’ordures qui se sont accumulées en six semaines. Assez d’enfantillages et d’amateurisme, et de ménagement de la chèvre et du choux, le gouvernement doit faire protéger ce site par l’armée libanaise, contre quiconque voudrait sa fermeture définitive dans l'immédiat, en attendant la mise en œuvre d’un plan durable pour la gestion des déchets, qui doit être établi dans le calme et non dans la précipitation. Par conséquent, il devient nécessaire de proroger le contrat de Sukleen, la bête noire de Tol3et re7etkom, jusqu'à l'élaboration d'un plan B. Telle devrait être la logique de dirigeants et d'activistes responsables. Et comme l'a dit si bien Victor Hugo, « La logique ne s'attendrit pas ».

Réf.
Les « Vous puez » puent à leur tour : la dérive politicienne d’un mouvement populaire (Art.307) Bakhos Baalbaki