mercredi 25 janvier 2012

Le problème de l'électricité au Liban : entre le vol de courant et le non-paiement des factures! (Art.51)


Enfin c'est la grogne à travers le pays! Et pour cause, la situation lamentable de l'électricité au Liban prend aujourd'hui des proportions inquiétantes. Et comment, elle est intenable. Pour mesurer l'ampleur du désastre, prenons comme exemple la région du Kesrouan, une région où l'Etat existe bel et bien, où une grande partie des honnêtes gens payent gentiment leurs factures, où une minorité de gens malhonnêtes ne le fait pas, une région qui a la chance ou la malchance, au choix, d'avoir comme représentant à l'Assemblée nationale, le général Michel Aoun, pour défendre ses intérêts, et bien figurez-vous que cette région ne reçoit le courant électrique qu'une dizaine d'heures par jour! Et pour compenser la carence de cet Etat qui est toujours aux abonnés absents 20 ans après la fin de la guerre civile, les kesrouanais font appel comme leurs compatriotes du reste du Liban, aux "moteurs"! Des Abou-Tony maudits par Hadès le maître des Enfers, qui facturent leurs 10 misérables ampères à 250$/mois!  Pour être aux normes européennes, il faudrait au moins 40 ampères, ce qui nous ferait passer à 1000$/12h par jour/mois. Hallucinant de consternant! La facture électrique d'un appartement parisienne chauffé entièrement à l'électricité, avec des radiateurs marchant à font la caisse, réglés aux températures tropicales, n'atteint pas cette somme astronomique! On a vraiment un grave problème dans ce pays!

Les timides protestations populaires se multiplient. Devant la centrale électrique de Jiyeh, les manifestants arrivent encore à avoir un peu d'humour en ironisant sur le fait que la situation était bien meilleure pendant la guerre que sous le ministre Gebran Bassil! Sentant le vent de la révolte se lever, le ministre concerné a déclaré hier au quotidien Al-Safir, qu’il "n'y aurait pas de gouvernement si les problèmes de l’électricité au Liban ne sont pas résolus". On croit rêver! Il a également ajouté qu'il y a des "tentatives de faire obstruction à toute solution visant à régler le problème de l'électricité". Mais voyons! Son beau-père lui va encore plus loin. Michel Aoun appelle tous les Libanais qui payent leurs factures d'électricité à  manifester pacifiquement pour protester contre les coupures prolongées du courant électrique. Il a même le culot de demander au gouvernement d'être "sérieux". C'est la planète des singes! Et voilà que le gendre prodige revient à la charge aujourd'hui dans Al-Nahar pour appeler lui aussi les libanais qui payent leurs factures, vivant dans des régions souffrant de pénurie électrique à se tenir prêts pour descendre dans la rue et réclamer leurs droits car selon le jeune ministre, plus démagogue que révolutionnaire, toutes les régions du Liban devraient recevoir autant d'heures d'électricité que Beyrouth car il n'est pas normal que "certaines régions de la capitale reçoivent 21 heures de courant par jour, tandis que d’autres régions comme Sin El-Fil ne reçoivent que 11 heures d’électricité par jour". Le populiste à 12 volts!

Un projet de loi concernant le secteur électrique, visant essentiellement à augmenter la production d’électricité, a été présenté à l'automne par Gebran Bassil, accepté par le gouvernement Mikati et entériné par le Parlement libanais après quelques retouches insignifiantes. Quand j'ai remis en cause le projet du ministre Bassil dans l'article "Plan de Gebran Bassil pour l'électricité : du talon d'Achille à la tapisserie de Pénélope!" (voir réf. plus bas), personne de nos 128 "autruches de la Nation", et des "smallah 3layoun" nos politiciens des divers partis politiques libanais, toutes tendances confondues, n'a fait preuve de présence d'esprit et surtout de bon sens, pour dénoncer les failles de ce plan nase qui passe "mourour el kiram" sur le vol du courant électrique au Liban qui atteint 40 à 78% en dehors de Beyrouth et les factures impayées qui représentent jusqu'à 38% du total ! Le populiste à 12 volts oublie que si Beyrouth bénéficie de 21h de courant par jour, il faut quand même que quelqu'un dans ce pays apathique ose le lui dire, c'est parce le vol électrique dans la capitale tourne autour de 10% et non de 78%!

Le problème de l'électricité au Liban est loin d'être une simple équation de production et de consommation, c'est un problème avant tout de vol de courant et non-paiement des factures, un phénomène que l'on retrouve dans toutes les régions libanaises sans exception, qu'elles soient chrétiennes ou musulmanes, maronites, orthodoxes, sunnites, chiites ou druzes, y compris le Kesrouan de Michel Aoun… et je sais de quoi je parle! Quels agents de l'Etat osent rentrer dans les foyers d'un quartier ou d'un village, au fin fond de Dahiyé, de la Békaa, de Deniyé, de Nabatiyé, de Tripoli, de Bcharré, du Chouf ou du Kesrouan, s'ils ne sont pas accompagnés par un régiment de l'armée libanaise, pour contrôler les compteurs électriques sans courir le risque de se faire tabasser? Et pourtant, il faut bien envisager de le faire un jour car tout le monde sait, sauf les autruches du ministère de l'Energie, qu'il suffit d'inverser les fils électriques de tout compteur pour que celui-ci tourne à l'envers, un procédé couramment utilisé par les fraudeurs pour "vider" le compteur régulièrement! Pauvre Etat libanais!

Je vous invite les amis à lire ou à relire mon article du 4 septembre, pour vous rendre compte à quel point nous sommes gouvernés par des amateurs et à quel point l'opposition est menée aussi par des d'amateurs, je précise bien et j'insiste, toutes tendances confondues, 14 Mars, 8 Mars, indépendants, centristes, j'en passe et des meilleurs. Dès l'origine ce projet était rachitique! Les députés du 14 Mars n'ont pas choisi d'attaquer le plan Bassil sur le fond et se sont contentés seulement de l'histoire du "contrôle", de "l'origine du financement" (Etat, fonds internationaux,…) et du contournement de la création de l'organisme pour superviser l'exécution du projet. Ils ont évité de s'attaquer sérieusement aux problèmes du vol et du non-paiement des factures car figurez-vous que ce plan a été élaboré sous l'ancien gouvernement en juin 2010 précisément. Il a même été accepté par le gouvernement Hariri! Eh oui, à l'époque c'était la lune de miel entre Rabieh-Qoraytem-Dahiyé-Moukhtara-Maarab-Ain Eltiné! Pour le mettre en route, il fallait passer par le Parlement, voter le budget de l'année et obtenir ce qui a été prévu pour un 1er temps le fameux 1,2 milliard $ (eh oui même ça c'était prévu!). Plusieurs facteurs ont fait qu'on en est resté là: lenteur volontaire de l'Estaz Nabih et tension grandissante entre 14 Mars & 8 Mars. La suite, vous la connaissez: la nuit des chemises noires, chute du gouvernement Hariri, gouvernement hezbollahi de Mikati et coma du 14 Mars.

Aujourd'hui Michel Aoun, tente de nouveau de retourner la situation à son avantage, en faisant croire aux libanais, qu'il a un projet "sérieux" pour réformer le secteur électrique mais que les "autres" l'en empêchent. Je renvoie dos à dos gouvernement, députés et politiciens, toutes tendances confondues, car personne ne veut s'attaquer au fond du problème de l'électricité au Liban, le vol du courant et le non-paiement des factures, au grand risque de perdre une partie de leurs électeurs qui volent du courant et ne payent pas leurs factures. Et bien je dis bravo au général-illusionniste et merde aux forces du 14 Mars qui ont faux sur toute la ligne depuis trop longtemps déjà. Tant pis pour nous pauvres payeurs, qui sommes abusés et désabusés! Vivement 2013, la vengeance sera dans les urnes! Basta cosi!


Réf.
Plan de Gebran Bassil pour l'électricité : du talon d'Achille à la tapisserie de Pénélope / Bakhos Baalbaki (4 sept. 2011)

lundi 16 janvier 2012

Au-delà de l'effondrement de l'immeuble d'Achrafieh : 7 réflexions! (Art.49)


Il y a quelques mois, les 2 derniers étages d'un immeuble qui en comptait cinq de la rue Sioufi à Achrafieh s'écroulaient. Défilé de personnalités comme à l'accoutumée. Une grosse légume d'un parti politique, député de la Nation, se ramène. Je l'ai vu et même entendu! Regrets de faciès et colère de circonstance… contre l'Ordre des ingénieurs! Je me souviens de mon sourire narquois en écoutant ses réflexions à côté de la plaque, surtout de la part d'un législateur en puissance.

Et voilà que l'histoire se répète. D'habitude je m'abstiens de commenter les faits divers. Mais j'ai décidé de rompre mes habitudes pour la simple raison que le drame d'Achrafieh dépasse tout de même le cadre du fait d'hiver. L'effondrement de cet immeuble devrait marquer un tournant. Enfin j'ose espérer! Quelques réflexions en vrac.

1. L'abolition du confessionnalisme au Liban devrait commencer par l'abolition des frontières de la compassion! Je ne suis pas touché par cet événement parce ce que je suis résident d'Achrafieh mais parce ce que c'est une tragédie. On devrait éprouver la même compassion si l'immeuble se situait à Dahiyé, à Tripoli, à Baalbeck ou à Baawerta, en Syrie, en Afrique du Sud ou aux Etats-Unis d'Amérique, dans une région chrétienne, musulmane, juive ou bouddhiste. Est-ce le cas? Allez savoir! En tout cas, je n'ai pas aimé le slogan "Achrafieh en deuil". C'est au moins tout Beyrouth qui devrait l'être, quand ce n'est pas tout le Liban. Commençons donc par abolir les frontières de la compassion, tout ira mieux ensuite.

2. Un immeuble ne s'écroule pas comme ça. De 2 choses l'une : soit l'immeuble a montré des signes précurseurs qui ont été négligés par le propriétaire, soit que des travaux à l'intérieur ou à l'extérieur de l'immeuble ont conduit à son écroulement subit. En cas de travaux, il fallait non seulement l'avis consultatif d'un spécialiste avant de les effectuer mais aussi l'avis obligatoire d'un bureau de contrôle technique. Il y a donc des causes et des responsables. La justice doit non seulement les déterminer, mais elle doit immanquablement passer.

3. Si un immeuble s'écroule, ce n'est pas l'Ordre des ingénieurs qu'il faut blâmer, mais le législateur, donc les 128 députés de la Nation, le gouvernement actuel et ses ministres, et les services de contrôle des ministères concernés et de la municipalité. Les immeubles de Beyrouth commencent à vieillir. Ils sont mal entretenus, que dis-je, pas entretenus du tout. Manque de moyens aux niveaux individuel et collectif, qu'importe. Aucune loi aujourd'hui n'oblige les propriétaires d'immeubles anciens à procéder à un contrôle technique de leur structure. Il y a donc peut être un manque dans la législation et surtout dans l'application de l'existante (l'obligation de passer par des bureaux de contrôles et d'avoir l'avis d'un spécialiste avant, et non après, d'effectuer des travaux sur la structure). En parlant de contraintes législatives, il convient aussi de s'assurer de la prise en compte des règles de construction parasismique. Connaissant l'esprit libanais, elles sont sûrement négligées. Il faut peut être les renforcer, étant donné que notre capitale se situe sur la faille du Levant, que nous avons connu 4 séismes dévastateurs (en l'an 551, 1202, 1759 et 1837… celui de 1759 était d'une magnitude de 7,2 sur l'échelle de Richter et avait comme épicentre la ville du soleil, Baalbeck, la ville de mes ancêtres adoptifs;) et des dizaines de séismes importants (dont celui de 1956… 5,9 sur l'échelle de Richter). Les prévisions, si on peut parler en terme de prévisions, sont loin d'être rassurantes: si le cycle des séismes majeurs est de 300-350 ans pour le Proche-Orient, ce qui nous laisse 50 à 100 ans devant nous pour s'y préparer, le cycle des séismes importants concernant les plaques du Levant est de 40-50 ans, et là désolé, nous y sommes!

4. La loi actuelle permet aux propriétaires d'immeubles d'expulser les résidents sous "location ancienne", s'ils ont le projet d'en construire un nouveau. Inutile de préciser que cette loi pousse les propriétaires véreux à négliger l'entretien de leurs immeubles. Les honnêtes locataires eux, ne sont nullement motivés, car ces biens immobiliers ne leurs appartiennent pas. Voilà l'état désespérant de la majorité des beyrouthins. Il est donc grand temps de permettre à ces locataires anciens d'accéder à la propriété de leurs appartements, dans des conditions justes et raisonnables, en promulguant au plus vite une loi qui va dans ce sens et qu'on attend honteusement depuis plus de 20 ans! Le gouvernement Mikati et celui qui lui succédera, les 128 députés actuels et ceux qui leur succéderont, doivent s'engager dans ce sens et doivent être sévèrement jugés pour tout manquement.

5. Il existe une pratique mafieuse, un secret de Polichinelle, sauf pour les autruches de la Nation, qui amène des propriétaires sans vergogne d'immeubles ayant une valeur patrimoniale, donc qui risquent d'être classés, à procéder parfois à la destruction intentionnelle, d'un mur ou d'un pilier porteur, au vandalisme et à la dégradation des parties communes, pour déstabiliser et défigurer la structure et l'allure de leur immeuble, pousser leurs locataires à partir avec un faible dédommagement, échapper ainsi à une classification, et surtout rendre sa démolition inévitable, afin de le remplacer par une tour laide mais bien plus lucrative. Il est donc grand temps de traiter cette pratique mafieuse comme un délit grave!

6. Je suis persuadé que beaucoup de responsables politiques et administratifs, d'investisseurs sans scrupules et de petits esprits pensent que ce drame prouve que devant la vétusté des immeubles anciens, il est préférable de les raser et d'en construire de nouveaux. Et tout ce beau monde trouvera sans difficulté les justifications nécessaires dans les propos de certains spécialistes qui nous expliquent que le béton armé n'existait pas encore dans les années 40. Enfin à ce que je sache, cela ne pose pas de problème particulier aux municipalités des capitales européennes où la grande majorité des immeubles ont été bâtis avant 1950! Si la plupart des immeubles de Beyrouth ne valent rien sur le plan culturel et architectural, il existe tout de même un pourcentage important qui mérite d'être préservé. Je ne parle pas des immeubles du début du 20e siècle dont la destruction constitue un crime contre le patrimoine mais d'immeubles sans prétention, des années 30, 40 et 50, voire 60 (après ce fut l'urbanisation chaotique!), à l'architecture épurée, au caractère prononcé, aux couleurs pastels, aux entrées élégantes, sans les horribles parkings du rez-de-chaussée, et surtout aux magnifiques persiennes en bois aux couleurs de la Méditerranée, un détail raffiné qui fait partie du patrimoine de Beyrouth qu'on devrait rendre obligatoire (les persiennes sont aujourd'hui remplacées par de banals stores déroulants en plastique!). Ce sont ces immeubles qui font l'âme de Beyrouth. Les détruire, c'est perdre l'âme de cette ville. Limitons l'extension de la laideur et sauvons l'âme de notre capitale.

7. La situation tiers-mondiste de la distribution de l'eau au Liban a obligé les particuliers à installer des réservoirs sur les toits des immeubles. Un immeuble de taille moyenne à Beyrouth, comportent une vingtaine d'appartements, donc une vingtaine de réservoirs de 2000 litres au moins sur le toit. Et voilà comment, le libanais a installé 40 tonnes sur le toit de son immeuble, une surcharge qui n'a pas été prévue par le bâtisseur! Certes, cet excès peut être supporté par la structure, théoriquement, mais est-on sûr que c'est le cas de tous les immeubles? Et que se passera-t-il à la prochaine secousse sismique sérieuse? Réponse imminente.

Et que les morts reposent en paix!